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Premier Camp Scout : Ras-el-Maa

 

 

-Serval, Serval! Berger, Berger!

 

 Des cris fusent de toutes parts. Mille choses à faire, à défaire, à monter. L'emplacement des tentes à déterminer, l’intendance, le déblayage de la clairière où nous nous installons au crépuscule, les coups de maillet, les lampes tempêtes qui s'allument une à une comme des étoiles, les ordres précis des chefs de patrouille et puis les coups de sifflet secs du chef de troupe qui annoncent, en morse, le rassemblement général.

Tit tat tit, ti ta tit.

 

Le camp est en place!

 

Nous nous étions levés tôt ce matin-là.

- Réunion à «Charles Netter», au centre communautaire,avait decidé Depass, notre chef de patrouille, la veille.

Sac au dos, foulard blanc et bleu bien roulé, short  marine et chemise kaki bien repassés, je m'étais préparé, tout excité par ce premier voyage, mon premier camp scout.

Je n’avais que dix ans et des poussières, le plus jeune éclaireur du Maroc et, à ce titre,  la mascotte officielle de la troupe Edmond Fleg des Eclaireurs Israelites de France.

 

Peu à peu les membres des différentes patrouilles sont arrivés. Les « Okapis » d'abord, avec Loulou Elmaleh à leur tête, les « Elans » tranquilles de William Amzallag qui à peine revenu d'un Jamborée au Canada  dissimulait, non sans peine, une fierté doublée d’importance, semblable à celle d’un hadj de retour de La Mecque. Pour parfaire son image, il  déambulait comme auréolé, coiffé d’un chapeau de la Police Montée Canadienne ramené de son périple, qui faisait l’admiration et  l'envie de tous. Les « Eperviers » fougueux de Marc, mon frère aîné, les « Lévriers » rapides de Simon Medina et de Loulou Abitbol et, enfin, les « Renards » rusés mais souvent en retard de Dédé Depass.

Bien que ce fût le début de l'été, le matin était brumeux et, àsix heures, le jour ne s'était pas encore complètement levé. II y avait quelque chose de romantique  dans l’air et un parfum d'aventure, de quoi râvir  l’enfant que je ne croyais plus être. En y repensant bien, j'avais  froid  ce matin là, et sans doute, une certaine appréhension.

Berger nous fit chanter une chanson de départ qui nous réchauffa un peu le cœur. Les C.P, chef de patrouille en d’autres termes, le bras tendu, lançaient d’une voix forte leur cri de patrouille.

—       Renards ru-sés…

—       …Et ha-biles, répondions-nous à l'unisson.

Puis ce fut le départ.

Berger n’était pas grand, mais il émanait de lui une noblesse naturelle. Toute sa famille était scoute. Fléole, sa sœur, avait guidé mes premiers pas de louveteau. Serval, son frère, allait devenir notre chef de troupe mais, en attendant, Berger, lunettes sur le nez, petite moustache fine, son  air loyal et déterminé de vrai scout, était notre chef.

Nous embarquâmes avec fracas dans de vieux cars à la peinture écaillée, et voilà nous étions partis!

Des parents étaient venus accompagner leurs enfants. De grands mouchoirs blancs s'agitaient dans l’air frais tel un vol de colombes.

 

«Ensemble, ensemble, notre devise est dans ces mots.

Ensemble, ensemble, tout semble plus beau.»

 

Sur la route nous avons entonné des airs pleins d’entrain, et moi,  si fier d'être du nombre de  cette belle troupe d’éclaireurs, tous plus âgés que moi, débarrassé de mon appréhension,  je chantais encore plus fort !

Le soleil se levait à l’horizon, mêlant à l'azur du ciel, de l'orange, de l'or du magenta et du violet.

Direction: Ras-el-Maa.

Les arbres sur la route, une fois hors de Casablanca, se faisaient plus denses, plus verts, à chaque kilométre plus beaux et plus fournis.

Nous passions par des villages encore endormis et puis, de nouveau, la jolie route qui s’ouvrait devant nous et nous faisait chanter en chœur joyeusement

Maurice à la guitare, William battant la mesure sur le dossier d'un fauteuil et le chauffeur sérieux, concentré, donnant de temps en temps, de grands coups de klaxon pour disperser un troupeau de moutons. Affolés et crottés de boue, ils soulevaient de leurs petits sabots un nuage de poussière qui scintillait  au  soleil.

— Bee! Bee!

Nous sommes arrivés à destination vers cinq heures de l'après-midi, une belle forêt, près d’une rivière, bordée de roseaux, où se faufilaient de jolis poissons entre des pierres rondes et polies.

On entendait à peine son clapotement, comme des perles de silence, comme si la musique de cette eau coulante venait souligner le calme qui régnait dans cet endroit tranquille.

L'air pur était parfumé d'odeurs d'herbe coupée et de fleurs sauvages. Des bouleaux et des chênes centenaires cernaient la clairière.

Bientôt, nos cris, nos chants et notre activité allaient changer l'ordre tranquille des choses.

La troupe des Akiba et celle des Maimonide établissaient leur camp à proximité.

Le lendemain : Grande nouvelle !

— Dans trois jours Lynclair arrive!

Remue-ménage incroyable. Lynclair , Lynx clairvoyant pour les non-initiés, était le chef des chefs!!!

Berger donna un thème a chacune des patrouilles et Depass, qui portait  bien son nom, entreprit de monter notre tente sur pilotis. Pour illustrer le film «GEANT» avec James Dean qui faisait fureur cette année là, nous allions être des chercheurs de pétrole.

Rapidement le camp est nettoyé à fond, les pierres délimitant le camp, peintes en blanc à la chaux pour indiquer le chemin. Ainsi, le sentier a l'air tout pimpant !

Au centre de la clairière, le drapeau national et celui de notre troupe flottent au vent léger. Pas loin, l'intendance où boites de lait concentré, sucre, patates s'amoncellent sous l'œil farouche et vigilant de Momo, secrétaire trésorier adjoint de l'adjoint au chef, qui en assume la garde et le maintien.

Nous avions bon appétit et Jacques O. le cuistot déployait des trésors d'ingéniosité pour ne pas décevoir tout ce  petit monde.

Ralph Sultan, de ses mains habiles, travaillait le bois et le fer. Comme par magie, il faisait apparaitre des animaux, des lettres en hébreu et des candélabres. II nous apprenait les rudiments du travail manuel artistique.

Nos tentes étaient disposées en cercle. Parfois un animal curieux montrait le bout de son nez, s'inquiétant de ce que nous occupions son territoire, il observait  ce tohu-bohu durant quelques secondes et s’enfuyait effaré.

Un grand feu de camp nous réunissait chaque soir, fatigués mais heureux. Nos visages dansaient au même rythme que les flammes. Nos chants mélodieux montaient, nous en étions sûrs,  jusqu’au ciel, jusqu'aux étoiles qui nous semblaient plus proches, plus accessibles, plus nombreuses aussi, ainsi il nous semblait être plus proches de «Dieu».

 

« Le feu brille et la forêt palpite.

Notre chef est parmi nous.

Il nous parle des temps héroïques

Et des preux luttant pour nous

Sur nos têtes, le vent crie et passe.

À son souffle, les chênes frémissent.

Le feu brille et la forêt palpite.

Notre chef est parmi nous »

 

Puis le grand jour arriva. Berger m'avait chargé, en tant que mascotte officielle, de souhaiter la bienvenue à la délégation que dirigeait Lynclair.

« Ourson » « Autruche » « Cigogne » « Otarie » totem des personnalités présentes étaient là. Ce n'était n’est  plus un camp, c'était un zoo, blasphémait Maurice, un de mes amis !

Perché sur une grande pierre blanche, le cœur battant, je m'acquittai aussi bien que je le pus de ma tâche et j'annonçai d'une voix claire et forte qu'en l'an de grâce 1958, la troupe Edmond Fleg reçevait dans la joie et dans l’honneur cette belle délégation. Le texte était écrit sur un parchemin que  je tendis, après l'avoir lu, à la manière d'un page, à Lynclair avant  de rejoindre ma patrouille. La nuit était tombée, mais la lune éclairait notre campement d'une belle lumière blanche, pâle et dorée à la fois.

Depass avait relevé son défi, et notre tente s'élevait fièrement sur pilotis à près de trois mètres au-dessus de la terre humide et fraîche. Quand Lynclair vint inspecter notre patrouille, nous mimions déjà avec des pioches en carton les anciens chercheurs de pétrole. Imaginant que le pétrole jaillissait du sol en giclant, nous dansions, nous sautions de joie, nous donnant de grandes claques solides dans le dos en poussant des cris de triomphe!

Des ombres se profilaient  au fond de la clairière et on aurait cru voir acteurs, actrices, animaux  jouant ensemble dans un opéra  grandiose et spectaculaire!

Ce n'était que nous!

 

Le groupe de spectateurs nous regardait d'un air à la fois amusé et fier, Berger en particulier.

Puis Lynclair vint nous féliciter; il nous dit combien il avait admiré nos efforts, que nous étions un exemple de patrouille et qu'il tirait orgueil de la troupe Fleg.

L'air était frais, un vent léger et doux nous caressait le visage et les cheveux et il nous semblait que les étoiles brillaient plus fort encore que d'habitude dans le ciel lumineux.

On aurait dit qu’à cet instant le monde était en paix avec lui-même, qu'à la vue de ces jeunes hommes si beaux, si purs, si fiers, plus jamais personne n'aurait envie de se battre, de se détruire et que la sérénité et la grandeur sur le point d’embrasser la terre  oui, il y avait de la grandeur à ce moment-là, allaient durer toujours !

Un feu géant au milieu du camp et un diner spécial allaient nous réunir tout à l'heure, mais en attendant, jamais je n'avais été aussi heureux, jamais je n'avais ressenti un tel bonheur !

 

«Le feu brille et la forêt palpite.

Notre chef est parmi nous.»

©Bob Oré Abitbol

 

boboreint@gmail.com

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