Les conséquences de la duperie de Genève (info # 012611/13) [Analyse]
Par Jean Tsadik © Metula News Agency
Certes, il est déjà advenu, dans l’histoire, que des rois ou des gouvernements se mettent d’accord oralement, sans échanger le moindre document. Il est même arrivé que des ententes de cette sorte aient tenu. L’existence d’un traité signé n’est pas l’unique façon de se comprendre entre Etats ; nous n’avons, pour notre part, jamais prétendu le contraire.
Reste qu’un agrément dûment rédigé en langage juridique, paraphé par des plénipotentiaires et endossé par les instances législatives d’un pays procure des avantages conséquents sur un contrat aux contours faiblement définis ; y compris sur un "Plan d’action conjoint", conçu de telle sorte que chacun puisse le présenter à sa population, ses journalistes, son guide suprême ou son Congrès, de la manière qui lui plaît, tandis qu’un fossé rationnellement infranchissable sépare ces interprétations.
De plus, on est amené à faire une analyse stratégique absolument différente, selon qu’il existe un accord en bonne et due forme ou un brouillon commun de travail, les deux n’ayant pas la même portée, n’offrant pas les mêmes garanties et nécessitant des garde-fous extrêmement distincts.
C’est pour ces raisons que le scoop de la Ména de dimanche est fondamental. D’abord, il fallait dire qu’il n’y a pas eu accord à Genève entre l’Iran et les 5+1, ensuite que les gouvernements mentent délibérément au public en prétendant le contraire, puis que les media, tous les media, marchent dans la combine, se soustrayant à leurs devoirs d’information, d’analyse et de curiosité.
Ces derniers sombrent-ils dans l’activisme ? Dans l’euphorie ? Dans la niaiserie ? Dans l’antisémitisme ? Dans le manque de professionnalisme ou simplement la bêtise ? Le détail des raisons des confrères ne revêt pas la moindre importance à nos yeux. Ce qui en a, en revanche, c’est le phénomène : celui d’une profession entière, à l’échelle planétaire, qui passe des journées à commenter un texte qu’elle n’a jamais vu, qui n’existe pas, et qu’elle n’exige pas de consulter.
Une profession entière qui interprète et décortique la factsheet d’Obama, qui répète péremptoirement, qu’à Genève, l’Iran s’est engagé à ceci et à cela, alors que dans le "Plan d’action conjoint", il n’y a pas la moindre phrase qui commence par : "L’Iran s’engage à…". Ni au fond, ni dans la forme. On n’y parle pas plus de contrat, de traité, d’entente, tout cela participant de l’invention ou du mensonge.
Le Président Obama s’expose d’ailleurs ainsi à une procédure d’impeachment, de destitution, en ayant affirmé devant ses concitoyens que les Etats-Unis avaient signé un accord qu’ils n’ont pas signé et que l’Iran y avait pris des engagements qu’il n’a pas pris.
Autres lieux autres règles, autre tradition : en France, François Hollande peut se "féliciter du traité signé" dans la capitale lémanique - les lois de la Vème république étant fort souples en matière de distorsions présidentielles – en Amérique, ce n’est pas le cas. Aux USA, qu’elle étrangeté !, on n’admet pas que le chef de l’Etat mente à ceux qui l’ont élu.
Des membres du Congrès, Démocrates comme Républicains, alertés sans doute par l’article de Stéphane Juffa, sont en train d’envisager l’enclenchement d’une procédure de destitution. Prochainement, ils vont exiger de Barack Obama qu’il leur présente l’ "accord signé à Genève". Cela promet d’être épique.
En attendant, les Représentants (députés) et les Sénateurs s’apprêtent à édicter et à voter une loi définissant les mesures que les Etats-Unis devraient prendre instantanément au cas où la "République" Islamique contreviendrait à ses engagements. Selon les appels que nous avons reçus de Washington, la rétorsion serait salée, et cette loi a toutes les chances de passer la rampe.
Sa rédaction s’articulera évidemment sur la factsheet, la feuille d’information d’Obama, en l’absence de tout autre document. Au Capitole – c’est le bon côté du marché de dupes imposé par le président ! -, on ne se casse pas la tête, on "lui fait confiance" en relevant tous les engagements contractuels qu’aurait pris l’Iran.
Et si les inspecteurs de l’AIEA sont empêchés d’inspecter, ou s’ils découvrent que les Perses n’agissent pas en adéquation avec la factsheet, le Congrès s’empressera de sonner la charge. Parce qu’il a l’impression justifiée d’avoir été roulé dans la farine par la Maison Blanche, qu’il est au courant de ce qui se déroule en Iran sous la dictature actuelle, qu’il ne veut pas qu’il devienne une puissance nucléaire, et qu’il soutient Israël.
On peut donc presque agir à l’international, à condition d’être les Etats-Unis d’Amérique, sur la base de l’interprétation que l’on entend imposer d’un texte qui n’a pas été endossé par la partie adverse. Il suffit pour cela de fixer arbitrairement ses red lines et de menacer son interlocuteur des pires sanctions s’il n’entreprend pas ce qui est évoqué sur le "Plan d’action conjoint".
Pourquoi, la Ména, dans ces conditions, faire un si grand ramdam sur l’absence de traité formel ? Pour tout ce que cette absence implique !
Parce qu’en dépit de toutes les pressions, de mois entiers de négociations secrètes USA-Iran, dont nous vous avons parlé chaque semaine dans ces colonnes, des sanctions, des menaces d’intervention israéliennes, les ayatollahs n’ont pas plié : ils n’ont pas accepté de renoncer publiquement à leur projet de bombe atomique.
Parce que, et cela c’est sûr - les 5+1 étant des nations crédibles - comme l’a annoncé Laurent Fabius hier, on commencera à lever les sanctions en décembre. Quel empressement, pour Bayard-Fabius, vu qu’en si peu de temps, il ne sera pas possible d’observer si oui ou non les Perses agissent selon les termes des engagements qu’ils n’ont pas pris !
Parce que l’isolement économique imposé à Téhéran, celui qui a participé à obliger les mollahs à discuter avec les Occidentaux, est irrémédiablement brisé. Déjà les Indiens ont annoncé qu’ils n’attendaient plus que l’aplanissement d’un problème d’assurance de transport avant de commander six millions de barils d’or noir à Khamenei. Déjà le boss de l’industrie automobile française a pris son billet pour la Perse, où il espère négocier des contrats destinés à redonner de l’air à sa branche qui étouffe. Il fait bien de se presser, car il croisera probablement dans son hôtel ses homologues japonais, coréens et européens.
Car le monde du business a tout autant envie de réintégrer les Iraniens que les Iraniens eux-mêmes. Et, en l’absence d’un traité clair et contraignant, Téhéran va, dès les jours prochains, se transformer en Cour des Miracles. De plus, les chiffres de l’augmentation des revenus des Perses découlant de l’allègement des sanctions figurant sur la feuille d’information d’Obama paraissent ce qu’ils sont : ridicules.
Il n’est d’ailleurs fait aucune mention de ces estimations chiffrées dans le "Plan d’action conjoint", et c’est l’une des autres entourloupes. Même sur le fond, même dans le contenu, même sans se soucier du défaut d’engagements : les données soumises par Obama et par Rohani ne coïncident pas.
Et là, aucun doute n’existe, on va pulvériser les prévisions américaines de 4 à 8 milliards de dollars de revenus pour les ayatollahs, et même celles du ministre israélien des Affaires Stratégique et du Renseignement, Youval Steinitz, s’élevant à quarante milliards. En six mois, à Métula, on serait très surpris si ces revenus n’atteignaient pas les cent milliards, et surtout, si les engouements et les intérêts qu’ils vont générer ne rendaient pas irréversibles les engagements des 5+1, avec ou sans allégement supplémentaire des sanctions, et quelle que soit la démarche des Iraniens au sujet de leur programme nucléaire.
Pour amener les Américains sur le sentier de la guerre, dans ces conditions, il faudrait une violation gigantesque par la junte théocratique des engagements qu’elle n’a pas pris. Mais on n’en voit pas, à l’horizon, qui pourrait forcer Obama à reconsidérer les autres options dont il affirme qu’elles restent "sur la table".
Car ces violations hypothétiques ne seraient pas flagrantes : par exemple, comment quantifier précisément la dilution du stock existant d’uranium à 20 pour cent ? Comment déterminer quand et où elle va commencer, et quelle forme définitive elle revêtira, puisque ce n’est stipulé nulle part. Et si rien n’est provisionné, rien non plus ne saurait constituer une violation, c’est une lapalissade.
Et cet exemple est plutôt opportun, puisqu’il constituait la seconde condition posée par les Occidentaux pour un accord avec Téhéran : 1. La cessation des activités d’enrichissement, 2. L’allongement du breakout time, le temps nécessaire à la théocratie chiite pour fabriquer la bombe si elle décidait de le faire.
Lors, avec les 185 kilos d’uranium répertoriés en sa possession, le breakout time s’établit à 21 jours environ. Quasi rien en fait, et c’est pour cela que la planète avait au moins besoin d’un calendrier très précis de la destruction de ces réserves, commençant plutôt hier que demain, et formulant tous les éléments techniques nécessaires. Et surtout, formel, vérifiable et signé !
L’imposture à l’accord, montée par l’administration Obama avec le concours actif des autres membres du Conseil de Sécurité et de l’Allemagne, constitue cette fois-ci une tentative de complot [c’est la première fois que la Ména parle de l’hypothèse d’un complot depuis sa création. Ndlr.]. Barack Obama avait décidé depuis longtemps qu’il ne s’engagerait pas dans un conflit militaire avec la "République" Islamique ; puis, à force d’essayer de négocier, il a fini par se convaincre que Khamenei, ayant sans doute percé les intentions du président américain, n’abandonnerait pas son projet nucléaire, qu’il ne signerait aucun document allant dans ce sens.
Cela était évident pour Obama et Kerry bien avant la convocation des rencontres de Genève, puisque leurs émissaires et leurs atomistes rencontraient régulièrement leurs vis-à-vis perses depuis plus de six mois.
Restaient deux options pour le pensionnaire de la Maison Blanche : avoir recours à la force afin d’empêcher les ayatollahs de progresser en direction de leur bombe, ou s’accommoder d’un Iran nucléaire, à court ou moyen terme, en espérant que la reprise économique et la crainte de la réinstauration des sanctions feraient reculer le guide suprême et sa clique.
C’est assez mal les connaître pourtant ; sachant leur capacité à ruser, il me semble qu’ils auront les deux.
Ce qui est énorme, dans cette histoire, c’est la décontraction avec laquelle Barack Obama a annoncé à son peuple la signature d’un accord et les engagements tout aussi fictifs de Téhéran. Et la facilité avec laquelle les autres puissances – qui redoutent aussi une confrontation, inimaginable pour eux sans Washington, et qui piaffent de commercer à nouveau avec les Iraniens – participent à la duperie du monde.
Quant à Binyamin Netanyahu, il est bien naïf en l’occurrence. Son ministère des Affaires Etrangères a emboîté le pas de l’administration US et s’est lui aussi fendu d’une factsheet de son cru, prenant celle de la Maison Blanche pour argent comptant.
Voici le 1er ministre qui critique un traité qui n’existe pas ! Il se plaint de ce que l’Iran ne s’est pas engagé à mettre hors service ses outils de production d’uranium enrichi, qu’il lui soit permis de continuer d’enrichir à 5%, et qu’il n’ait pas à détruire son usine d’eau lourde d’Arak, tout en bénéficiant d’un adoucissement des sanctions économiques. La réalité est bien plus noire : l’Iran réintègre l’univers du commerce international, mais ne s’est engagé à rien du tout.
Mieux informé, mieux conseillé, il devrait se contenter d’exiger des 5+1 qu’ils publient l’accord qu’ils disent avoir signé, cela lui faciliterait la tâche. Et d’exiger, alternativement, si l’accord est secret, qu’ils le disent, s’il est oral, qu’ils le disent aussi.
Mais pour cela, il bien trop tard, la plupart des dirigeants des 5+1 ayant déjà fait état de la "signature d’un accord" écrit. Reste à démontrer, pour les Israéliens, que ce n’est pas un accord et que le "Plan d’action conjoint" ne contient aucun engagement de la part des Iraniens.
Une option demeure sur la table : celle d’une intervention de Tsahal. Elle inquiète au plus haut point les conspirateurs, qui ne veulent pas que le premier condamné se révolte. D’où le commentaire de Laurent Fabius, selon lequel, si Israël intervenait militairement alors qu’un "accord" a enfin été atteint, personne le comprendrait.
Ou celui, plus musclé et même carrément menaçant, du Secrétaire du Foreign Office britannique, William Hague, déclarant, lundi, devant son Parlement : "Nous décourageons quiconque au monde, y compris Israël, d’entreprendre quoi que ce soit qui pourrait miner cet agrément, et nous serons très clairs avec tous ceux que cela concerne". W. Hague d’ajouter que "la Grande-Bretagne est sur ses gardes".
Non pas pour empêcher les Iraniens de confectionner une bombe atomique, mais pour dissuader les Israéliens de leur mettre des bâtons dans les roues ! Nous, ici, de répéter que William Hague ment effrontément lorsqu’il évoque un accord à propos duquel il est idéalement placé pour savoir qu’il n’existe pas.
Le ministre british des Affaires Etrangères ne fait que protéger le complot auquel il participe. Mais au fond, il a raison, aussi bien que Fabius : il sera difficile à Israël d’agir, tant la conjuration pour l’obliger à mettre genou à terre est puissante.
Pour que Jérusalem s’en sorte, il faudrait qu’elle commence par utiliser les arguments appropriés, et cela se limite pour l’instant à demander officiellement la publication du traité. Je sais, je me répète, ce n’est pas dans mon style, mais là, il est important d’être précis et d’insister.
Mais essentiellement, pour qu’Israël s’en sorte, il faudrait que trois conditions soient réunies : 1. Qu’il démontre le complot, 2. Qu’il parvienne à prouver – au sens juridique du terme - une violation majeure par les Iraniens de la factsheet d’Obama, et 3. Que l’Arabie Saoudite et d’autres Etats arabes participent, et pas uniquement du bout des lèvres, à une opération militaire avec les Hébreux contre la "République" Islamique.
Dans cette contingence, au cas où les Juifs et les Arabes de la région s’allieraient pour intervenir, jugeant la menace nucléaire chiite insupportable, ainsi que le Plan d’action conjoint insuffisant, personne ne pourrait s’opposer à leur décision, pas plus Hague qu’Obama, et cela ravirait le Congrès.
Et je vous assure que l’on est infiniment plus près d’une coalition de cette sorte, qui semblait improbable des décennies durant, que je n’ai le droit de vous le dire. En fait, Khamenei n’a qu’une chance d’échapper à la foudre conjointe des Arabes et des Juifs : respecter scrupuleusement un contrat qu’il a refusé de signer et abandonner son projet nucléaire.
La situation est en tous points délirante, mais elle est.