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Tahar Ben Jelloun : "la horde sauvage" déferle sur l'Irak

 

 

 

Le dernier roman du grand écrivain algérien Rachid Mimouni (1945-1995) s'appelle La Malédiction. Publié en 1993, il évoque la folie meurtrière qui s'était emparée de son pays parce que le régime avait annulé les résultats des élections législatives, qui avaient donné la majorité au Front islamique du salut. Une guerre civile terrible allait s'ensuivre. Cette "malédiction" rôdait déjà autour du Moyen-Orient. Vingt-deux ans plus tard, la douleur du monde arabe, liée à son impuissance et à une sorte de fatalité absurde, le met face à la pire des situations. Les barbares sont arrivés, ils sont à la porte de Bagdad.

Nous sommes des millions à vouloir comprendre ce qui se passe enIrak. Nous avons vu des images horribles, des vidéos où des centaines de civils irakiens, chiites pour la plupart, sont assassinés les mains attachées, jetés ensuite dans des tranchées en bordure de la route. Nous sommes informés en temps réel, mais nous ne savons rien. D'où sortent ces hordes sauvages* qui tuent sans pitié, brûlent les maisons, détruisent les monuments et volent les banques ?

Satan habillé en djellaba

Après la tragédie syrienne, qui se poursuit tranquillement, nous voilà de nouveau face à une barbarie sans nom et qui, qui plus est, se réclame de l'islam. Comment est-ce possible ? Alors, nous voulons savoir qui arme, qui finance, qui soutient et planifie les actions de ce mouvement, l'État islamique en Irak et au Levant, qui cherche à instaurer une république islamique pure et dure en Irak et en Syrie. Ce mouvement domine déjà en Syrie les provinces de Deir ez-Zor et Rakka. L'armée de Bachar el-Assad le ménage, car, par sa présence et son action, il décrédibilise la rébellion laïque. Leurs armes sont dirigées sur d'autres musulmans, d'autres Arabes. Les Occidentaux sont recherchés pour servir d'otages et rapporter des rançons.

Qui est derrière tout cela ? Un ou plusieurs États ? Des organisations occultes ? La mafia planétaire ? Dracula ? Satan habillé en djellaba ? Un de ces énergumènes richissimes, Bédouins mais pourris de pétrodollars, aussi dingue et cruel qu'un serial killer? Tout le monde se pose ces questions. Les Arabes et les musulmans, les religieux et les laïcs, les gens issus de cette région ou bien ayant émigré ailleurs, les journalistes et les observateurs, les chercheurs et les historiens. 

Scandaleuse intervention américaine

On a dit que si l'Amérique et l'Europe avaient réagi avec fermeté au moment où Bachar el-Assad avait dépassé la fameuse ligne rouge (l'utilisation d'armes chimiques contre la population, NDLR), ces criminels apparemment bien entraînés et bien organisés n'auraient pas osé envahir l'Irak, prendre possession de Mossoul, Tikrit et de deux secteurs à Diyala (nord-est de Bagdad), et avancer en même temps vers la capitale. Là, ils se permettent tout parce qu'ils ont la certitude que personne ne pourra les arrêter. Ce n'est pas la malheureuse armée du Premier ministre irakien Nouri al-Maliki, sa police et ses services de renseignement qui sont capables de s'opposer à ces invasions. Ce Premier ministre est confronté depuis quelques années à un soulèvement sunnite dans la province d'al-Anbar. Il n'a cessé de mener une politique sectaire, humiliant les sunnites, privilégiant de manière outrageuse les cadres chiites. C'est pour ces raisons qu'il a vite apporté son soutien à Bachar el-Assad. Lui aussi est contesté dans son pays.

Il est utile de rappeler que ce qui se passe aujourd'hui en Irak est la conséquence quasi logique de la scandaleuse intervention américaine de M. Bush le 20 mars 2003, appelée sans ironie "Opération liberté pour l'Irak". Intervention illégale, basée sur un flagrant mensonge, un prétexte fabriqué de toutes pièces. Souvenez-vous, M. Bush promettait la démocratie en Irak. Ce qu'a fait ce président américain est dans la droite ligne de la dictature de Saddam Hussein. Il a détruit, il a déconstruit, il a fracturé et brisé une société, un pays, une nation. Sa guerre a accouché d'un monstre : un État djihadiste, sans foi ni loi, capable de surpasser Saddam dans l'horreur. C'est dire à quel niveau de décadence et de barbarie cette région est soumise. Quant aux explications de Tony Blair, qui était sur les mêmes positions que Bush, elles sont stupides et fausses, elles sont une insulte pour les centaines de milliers de victimes de cette scandaleuse intervention. 

Bagdad, la capitale du monde et de ses lumières

Aujourd'hui, au lieu d'être devant le Tribunal pénal international, M. Bush profite paisiblement de sa retraite dans son ranch texan et s'adonne à la peinture. Pourquoi ce tribunal juge-t-il en ce moment l'ancien président de Côte d'Ivoire Laurent Gbagbo, accusé de quatre crimes contre l'humanité, et pas George W. Bush ? Pourtant, les crimes du second sont de loin plus graves et plus nombreux. Il est vrai que les États-Unis n'ont jamais reconnu le TPI. Deux poids, deux mesures. C'est ainsi. L'injustice a le vent en poupe quand elle émane de la plus grande puissance du monde. 

Une dernière remarque : cette tragédie se passe à Bagdad, qui, lorsque Paris n'était qu'un village, était considérée comme la capitale du monde et de ses lumières. Il est vrai qu'il y a de cela dix siècles. Tout a une fin, y compris les lumières de l'esprit.

"La horde sauvage" est le titre du film de Sam Peckinpah, devenu un classique.

Le Point.fr 

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