Ce n’était pas une manifestation-fleuve. Les grands médias en ont peu parlé, hors d’Allemagne. Et pourtant, ce sont des paroles graves que la Chancelière, Angela Merkel, a prononcées dimanche dernier à Berlin. Devant plusieurs milliers de personnes qui s’étaient rassemblées pour dénoncer la montée des violences contre les Juifs, la Chancelière a clairement évoqué l’enjeu de ce sujet pour l’Allemagne, et pour l’Europe. « Le combat contre l’antisémitisme est notre devoir », a-t-elle dit. « La vie de la communauté juive fait partie de notre vie. Elle fait partie de notre identité et de notre culture ». Ces mots, sans ambiguïté aucune, visaient à redire le rejet radical pour tout débordement antisémite, à la veille de la première réunion à Berlin du Congrès juif mondial. Berlin. La ville qui fut, au XIXe et au début du XXe siècle, la ville de l’espoir d’une réelle intégration, voire d’une réelle assimilation des Juifs au destin de l’Allemagne. La ville, qui fut aussi, dès 1933, le tombeau de cet espoir.
Sur ce sujet, un très beau livre est paru il y a quatre ans aux éditions Denoël. Son titre, « Requiem Allemand ». Il raconte, sur deux siècles, l’histoire des juifs allemands. En commençant par l’entrée dans Berlin en 1743 du jeune Moses Mendelssohn (grand-père du compositeur et surtout père du judaïsme réformé), par une porte réservée aux Juifs et aux animaux ; en s’achevant sur le départ en train de Hanna Arrendt, fuyant l’Allemagne à temps après un interrogatoire musclé chez les nazis.
Entre ces deux dates, et c’est le sujet de ce livre magnifiquement écrit par Amos Elon, on assiste à l’intégration progressive de la communauté juive. « Vouloir être juif et allemand n’était pas incompatible », dit l’auteur, qui raconte la métamorphose d’une communauté. Tantôt rejetée, tantôt au cœur même de la culture allemande, au point de l’incarner et de lui fournir les plus grands esprits.
En cette période de crise économique, de montée du racisme, du nationalisme et des mouvements d’extrême droite, la question juive et l’Allemagne est un thème qui doit nous faire réfléchir. Car, alors qu’en 2013 c’est de France qu’on a enregistré le mouvement le plus important de Juifs décidant de s’installer en Israël, la communauté juive allemande, elle, grandit.
Réduite à 15 000 âmes au sortir de la guerre, dans les ruines du nazisme et de la Shoah, elle en compte aujourd’hui 200 000. Après la chute du Mur, en 1989, l’Allemagne réunifiée avait notamment offert la possibilité aux Juifs originaires des pays de l’ex-Union soviétique de venir s’installer. Ce qui fait de cette communauté, derrière la Grande Bretagne et la France, la troisième communauté juive d’Europe. Berlin, ville maudite de 1933 à 1945, est désormais perçue comme un refuge. Ce n’est pas un hasard si le Congrès juif mondial a choisi la capitale allemande pour se réunir.
Mais aussi lourd et ancré dans la conscience allemande que soit le passif du nazisme, l’Allemagne n’est pas pour autant immunisée contre le racisme. La récente guerre menée à Gaza par Israël a, en Allemagne aussi, comme en France, débordé largement le cadre de la contestation politique et donné lieu à de nombreux épisodes d'antisémitisme. Le gouvernement fédéral a recensé 131 incidents antisémites en juillet, contre 53 en juin.
C’est la raison de l’appel à la vigilance lancé dimanche non seulement par les autorités juives, mais par Angela Merkel. "Quiconque attaque des Juifs nous attaque tous. Quiconque endommage une pierre tombale juive, déshonore notre culture. Quiconque attaque une synagogue attaque les fondements de notre société libre". Le renouveau de la communauté juive allemande, est un« cadeau » a-t-elle-même ajouté. Donnant ainsi une solennité qui dépasse largement le cadre allemand. Dans une Europe, à dire vrai, bien peu vigilante.