“Chère France, je t’aime mais tu ne m’as pas laissé d’autre choix que te quitter”
Au lendemain des tragiques événements qui ont touché la France, "une future expat' juive" a souhaité exprimer ce qu'elle ressentait en tant que juive française et expliquer pourquoi elle en est arrivée à se dire qu'elle devait quitter ce pays.
Pour la première fois, moi juive française, qui durant toute ma vie n'ait jamais considéré une seule seconde de partir vivre en Israël, je viens de changer d'avis.
J'ai toujours été la première à défendre la croyance en un avenir pour les juifs en diaspora, à critiquer l'Alyah, à dire à mes amis qui partaient pour Israël que ce n'était pas une fin en soi, qu'ils ne trouveraient pas de job là-bas, que la société israelienne n'était peut-être pas prête à nous accueillir. Je me suis accrochée à la conviction qu'en tant que juive française, je pouvais réussir ma vie dans ce pays, mon pays. La France, pays dans lequel je suis née, dans lequel j'ai monté ma boîte.
J'ai voulu croire qu'après les drames Ilan Halimi et la tuerie de Toulouse, la France avait compris ce à quoi elle était confrontée. J'avais regretté avec tristesse que presque seuls les juifs descendent dans la rue à l'époque. Mais je voulais encore croire aux "plus jamais ça".
Et puis en ce début d'année 2015, cette horreur sans nom. D'abord ce massacre chez Charlie Hebdo, puis dans cette même épicerie casher où j'étais allée moi-même faire des courses une semaine plus tôt à la même heure. Parmi les otages se trouvait une personne que je connaissais, qui heureusement en est sortie saine et sauve. Je me suis dit que ça aurait pu être moi ou quelqu'un de ma famille. Et, surtout, je me suis demandée ce que je faisais encore là, en France, avec ce point rouge sur mon front.
Quand on sera morts il sera trop tard pour partir.
Pour la première fois depuis l'occupation, la Grande Synagogue de Paris a fermé ses portes un jour de Shabbat. Les écoles juives et les restaurants casher sont fébriles. Des membres de ma famille ont retiré leur mezouza de leur porte d'entrée par peur ou pour certains parce que les voisins leur ont demandé de le faire, pour "ne pas mettre l'immeuble en danger". Tout cela réveille des souvenirs lointains profondément effrayants.
Après les intellectuels de gauche (qui ont toléré la haine du juif dans les quartiers au nom du vivre ensemble et de la bien-pensance, et semblent aujourd'hui plus concernés par l'islamophobie que par l'antisémitisme), les médias (qui refusent de voir l'horrible réalité en face en appelant les juifs tués dans l'épicerie des "otages"), ce sont maintenant les pouvoirs publics qui nous ont abandonnés, nous juifs. Pas volontairement, mais par impuissance, tout simplement.
Comment croire Manuel Valls lorsqu'il affirme que les juifs doivent rester et que tout sera mis en oeuvre pour qu'ils se sentent en sécurité ? La France va baisser la garde et c'est normal, parce qu'on ne peut pas mobiliser en permanence des militaires pour surveiller les lieux juifs.
Après tous ces drames, sans parler des agressions antisémites devenues "anecdotiques" que l'on voit passer au quotidien, malgré toute mon envie de croire ces paroles rassurantes, je n'y arrive plus.
Et encore moins quand je vois la génération de demain qui est en train de se dessiner sous nos yeux qui refusent de le voir. Ces élèves qui dans les écoles primaires rigolent pendant la minute de silence et répètent que c'est "bien fait pour la France". Ces ados sur Twitter qui érigent en héros les terroristes ou ceux qui ne comprennent pas pourquoi "on en fait autant pour les juifs". Ces personnes qui, même parmi mes propres amis, suivent Dieudonné sur les réseaux sociaux et dédramatisent ses propos. Ou encore ceux qui nous somment d'arrêter de nous "victimiser".
La faible proportion de gens qui, à la marche républicaine de dimanche, ont évoqué la tuerie de Porte de Vincennes sur leurs panneaux ou dans leurs témoignages aux caméras de télévision, la majorité étant là avant tout pour défendre la liberté d'expression. Il y avait pourtant deux combats à défendre symboliquement : la liberté d'expression mais aussi la liberté de culte. Nous mêmes juifs avons hésité à écrire #JesuisJuif aux côtés de #JeSuisCharlie sur nos pancartes, par peur que cela nous cause des problèmes. Tout le monde était Charlie, ça c'est sûr, et c'est très bien. Mais parmi ces Charlie, qui s'indignait qu'on tue des juifs au même titre que des journalistes ? Qui avait vraiment pris la mesure de la gravité de l'antisémitisme en France ?
Est-il également nécessaire de rappeler la très faible représentation des musulmans à cette marche ? Où étaient soudainement tous ces militants engagés qui étaient descendus dans la rue pour la Palestine quelques mois plus tôt ? (Et accessoirement, pour certains, afin de crier "morts aux juifs" avec la bénédiction des politiques qui ont mené les cortèges en fermant les yeux).
Je remercie les musulmans avec qui j'ai marché en ce 11 janvier, car il y en avait fort heureusement, et certains ont prononcé des discours touchants. Mais malheureusement ils étaient trop peu alors qu'ils avaient pourtant l'opportunité justement de défendre leur religion et ses valeurs face à des radicaux qui la prennent en otage. Pourquoi ce silence ?
Dimanche la France était dans la rue, émue et indignée. C'était beau, c'était touchant. Mais elle aurait dû s'indigner avant. Pourquoi cet élan citoyen tardif ? Où étaient ces millions de personnes indignées partout en France lorsque des français sont morts parce que juifs en 2012 ?
Il a fallu que la France soit touchée de plein coeur, qu'on tue des personnes connues, des journalistes, pour qu'elle ouvre enfin les yeux sur ses ennemis.
Je ne me fais pas d'illusion, si seul l'Hypercacher avait été visé, je doute fortement que nous aurions été aussi nombreux à défiler malheureusement.
Je suis rassurée pour la liberté d'expression, elle n'est pas en danger, la rue l'a prouvé, elle la défendra. En revanche, je m'inquiète pour mes concitoyens juifs.
Dans quelques mois la vie reprendra son cours, avec ses attaques antisémites dans le métro, avec la peur au ventre chez les juifs qui voient les drames s'accumuler et craignent désormais pour leur vie. Pendant ce temps des politiciens d'extrême gauche trouvent des excuses à l'inexcusable et ont pour priorité de combattre les amalgames avant même de combattre la haine, pour priorité de défendre préventivement une population qui risque la discrimination plutôt qu'une population qui tombe déjà sous les balles.
Pour ma part, je ne peux plus être spectatrice impuissante de tout cela et vivre avec la peur d'aller faire de simples courses. Alors oui, il faut partir dès que possible. En Israël peut-être ou pourquoi pas aux Etats-Unis. N'importe où tant que je puisse me sentir en sécurité pour construire un foyer.
D'aucuns me rétorqueront que ce n'est pas à moi de partir, qu'il ne faut pas laisser la victoire à des cons et que c'est plutôt eux qui doivent être chassés. Malheureusement les cons sont trop nombreux et la France a encore les yeux mi-clos, et si j'attends qu'elle les ouvre complètement ce sera peut-être déjà trop tard.
Alors comme la génération de mes parents avant moi, je vais quitter ma terre natale et essayer de trouver, j'espère, une vie meilleure ailleurs.
France, je te dis au revoir. Et sans rancune.
Une future expat' juive