Derrière les remparts du Mellah de Marrakech
Petits contes
Auteur : Thérèse Zrihen-Dvir
L’enfance est la merveilleuse éclosion de la vie, un échelonnement dans le temps où l’innocence et la candeur sont rois, les frontières nébuleuses et les thèmes prosaïques infiniment réduits.
Pour certains malheureusement, cette époque n’a jamais existé ou bien, elle fut si abrégée que sa répercussion demeure en eux presque indécelable. Pour les plus fortunés, cette séquence de leur vie déborde de merveilleuses aventures, d’amour, d’affection, de leçons, de jeux, d’arcs en ciel et de rêves.
Pour nous les enfants du Mellah, la structure étriquée et dotée de nombreuses ruelles exiguës et obscures, stimulait notre imagination et suscitait des rencontres avec le bizarre, l’inconnu, l’intrigant, la superstition, les rites parfois cocasses, parfois angoissants mais toujours fascinants. Dans ce kaléidoscope de cultures et de religions, le quartier juif devenait notre antre de dragons, de djinns, de fées et de fantastique…
L’auteur, Thérèse ZRIHEN-DVIR, née à Marrakech, Maroc, petite-fille du président de la communauté juive de Marrakech, Rabbi Moshé Zrihen, Rabbin-juge. Après la guerre des Six Jours, elle quitte le Maroc et s’ installe en Israël avec sa famille. Elle suit
son époux au Canada en 1981 où elle y réside jusqu’en 1985. Ses oeuvres couvrent le mode de vie de la communauté juive au Maroc, leurs luttes de survie, leur isolation et surtout leur riche legs de traditions qui à ce jour nous émerveillent.
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Prélude
[…] « Avant d'entamer le récit de ces contes, il est essentiel d’esquisser l'environnement qui joua un rôle décisif dans nos activités, façonnant le climat de nos escapades.
« Le quartier juif (Mellah) était, en fait, un ghetto, ceint d'anciens remparts couleur d’argile sur lesquelles nichaient de majestueuses cigognes. Le côté oriental du Mellah était un véritable labyrinthe de ruelles étroites et sombres, peuplé en majorité par les classes pauvres et moyennes de notre communauté.
« Il y avait un nombre ahurissant de synagogues, encastrées entre de vieux bâtiments, facilement repérables par les voix sonores des hommes en prières, qui retentissaient aux premières lueurs de l'aube et tard dans la soirée. Avant la saison des fêtes, ces vieilles bâtisses étaient remises à neuf, repeintes et leurs candélabres polis. On pouvait presque humer l'odeur particulière de chaque fête.
« Le côté Nord du quartier comptait quelques maisons spacieuses et sophistiquées, habitées par des familles plus aisées. La plupart des bâtiments du quartier avait été conçue suivant un plan identique ou presque. Chacune était formée d'un ou deux étages, avec une grande cour intérieure et occasionnellement un puits. Dans les résidences plus luxueuses, le patio était pourvu d'une fontaine ou d'un jet d'eau entouré d'arbres et de pots de fleurs. Les plus modestes par contre, étaient généralement peintes à la chaux vive et sans carrelage.
« Peu d'habitations avaient l’eau courante et l'électricité. Rares étaient les maisons qui ne s'éclairaient pas aux lampes à huile. Chez les plus fortunées d'entre elles, l'éclat diffusé par les ampoules électriques filtrait à travers les jointures des portes et des fenêtres, comme des rayons de soleil.
« Mon premier souvenir remonte à l'âge de deux ans. J'avais contacté la rougeole, et ma mère, en rentrant de son travail, charriait un petit lapin blanc que je me mis à pourchasser dans notre grande cour, faisant fi à ma fièvre brûlante. Je me souviens de Mémé, qui ne cessait de chapitrer sa fille pour son idée incongrue de m'offrir « cette chose ». Les lapins étaient rares au Mellah et leur consommation interdite par la religion juive. Quant à moi, j’étais enchantée par son petit nez rose et sa fourrure moelleuse et délicate. Le matin suivant, mon lapin avait disparu (résultat des manigances de Mémé) et, afin de calmer ma fureur, cette dernière avait déposé au pied de mon lit un petit chaton siamois que j'avais baptisé sur le champ Minet. Il resta mon fidèle compagnon pendant plus d'une dizaine d'années » […]
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