Négociations avec l’Iran : le vif du sujet (info # 013006/15)[Analyse]
Par Jean Tsadik © MetulaNewsAgency
Il n’y aura pas d’accord sur le nucléaire iranien aujourd’hui à Vienne, c’est ce qu’a annoncé un membre de la délégation américaine aux négociations. Les trois questions en suspens consistent à savoir si les 5+1 et la "République" Islamique parviendront à s’entendre sur un traité, si ses termes seront acceptables pour le Congrès américain, et ce qui se passera si les négociations n’aboutissent pas ?
Après de longues années de négociations, une chose semble sûre : à en croire le même diplomate U.S., les discussions pourront être rallongées de "quelques jours", mais pas au-delà. On ne parle pas, à Vienne, d’une durée supplémentaire de plusieurs semaines et encore moins de mois ; on précise, au contraire, qu’une entente doit impérativement advenir lors du round actuel de négociations, et qu’elle doit aboutir à "un accord solide et global".
Dimanche, le Secrétaire d’Etat Kerry a réuni autour de lui les ministres des Affaires Etrangères d’Allemagne et du Royaume-Uni afin de faire le point sur l’état des discussions. La réunion a ensuite été ouverte aux ministres des autres délégations des grandes puissances.
L’impression qui ressort des entretiens de ce week-end est que les 5+1 ont décidé de ne pas effectuer de concessions supplémentaires, hormis d’éventuels aménagements à caractère secondaire, en ce qui concerne les points d’achoppement restants. Leur décision est sans doute dictée par le fait que des reculs additionnels de leur part entraîneraient à coup sûr un rejet du brouillon par le Congrès, en plus d’une vive réaction des Israéliens.
Le ministre britannique des Affaires Etrangères, Philip Hammond, a repris la formule déjà utilisée par Binyamin Netanyahu pour exprimer la fermeté qu’il prône, répétant : "Mieux vaut ne pas parvenir à un accord plutôt qu’à un mauvais accord". Lors d’une conférence de presse, à Washington, ce mardi, Barack Obama a dit pratiquement la même chose : "J’abandonnerai les négociations si c’est un mauvais accord".
L’homologue allemand de Philip Hammond, Frank-Walter Steinmeir, a renforcé cette position dans les colonnes de Die Welt (le monde), déclarant que "la surveillance des sites nucléaires [par les inspecteurs de l’AIEA] n’était pas négociable". Il a ajouté, que "les grandes puissances étaient disposées à montrer quelque flexibilité uniquement sur la question relative à la manière d’opérer des inspections sur les sites nucléaires suspects en Iran, mais pas quant à savoir si elles devaient avoir lieu".
C’est sur ces manifestations de fermeté que Mohammad Zarif, le ministre iranien des Affaires Etrangères avait regagné Téhéran dimanche pour y consulter le Guide suprême du régime, Ali Khamenei. La "marge de finasseries diplomatiques" étant désormais épuisée, les Iraniens doivent maintenant prendre une décision sur les trois points encore litigieux s’ils comptent parvenir à un traité avec les 5+1.
Le premier de ces points concerne les inspections des enquêteurs de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique. Les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité et l’Allemagne exigent que les observateurs de l’AIEA puissent avoir accès à tous les sites, y compris militaires.
Le 2 avril dernier, à Lausanne, Téhéran s’était déclaré en principe disposé à ratifier le Protocole additionnel de l’AIEA. Il s’agit d’un document générique autorisant des inspections renforcées sur les lieux suspectés d’accueillir des activités nucléaires.
Les ayatollahs espéraient naïvement que les 5+1 se contenteraient de cette promesse en ce qui concerne les inspections, mais cela n’a jamais été le cas. L’agence onusienne, dont le directeur général, Yukiya Amano, a participé aux discussions de ce mardi, insiste sur la nécessité d’obtenir dans les clauses du traité le droit "de mener des inspections ad hoc dans tous les domaines qui ne sont pas stipulés dans le Protocole additionnel".
Plus simplement exprimé, cela signifie que, si l’on exige de l’agence viennoise qu’elle soit l’arbitre qui détermine si les Perses remplissent ou non leurs engagements contractuels, et, partant, qui déclenche indirectement la levée de sanctions, l’AIEA réclame les moyens de remplir sa fonction.
En particulier, l’agence exige de pouvoir contrôler des sites de recherche concernant le nucléaire, même s’il ne s’y déroule pas d’activités nucléaires au sens strict. Outre les laboratoires, on pense par exemple aux sites d’expérimentation militaire des dispositifs de la bombe, comme à Perchin, où des activités liées aux détonateurs des bombes se sont déroulées par le passé mais où elles ont désormais cessé. Or cette disposition n’est pas stipulée dans le Protocole additionnel, et les commissaires craignent d’être contraints de devoir entrer dans de laborieuses négociations avec les Iraniens chaque fois qu’ils envisagent une inspection, comme c’est le cas actuellement.
Pour éviter ces inconvénients, Yukiya Amano demande que ses collaborateurs aient le droit d’accéder à tous les sites qui les intéressent, même ceux à caractère militaire, et que ce droit soit très clairement libellé dans un éventuel traité.
On touche ici au second point de discorde entre les négociateurs, celui qui a directement trait à la "Possible Dimension Militaire" du programme nucléaire de la théocratie perse, abrégée en PDM.
En 2011, l’AIEA avait demandé à Téhéran des explications documentées sur onze points relatifs à des PDM. A ce jour, l’agence n’a reçu que deux réponses. Cette situation explique l’opiniâtreté de Vienne à vouloir visiter des sites comme celui de Perchin, et à recevoir l’ensemble des documents qu’elle réclame.
On se demande à Métula comment les négociateurs pourraient s’entendre sur ce qui ressemble à s’y méprendre à un cul de sac. En effet, pour les Iraniens, donner suite aux attentes des inspecteurs équivaudrait à reconnaître que l’objectif de leur programme nucléaire consiste effectivement à fabriquer une bombe atomique, conscients qu’ils sont que les limiers de l’AIEA n’auront aucun mal à découvrir les traces de ce qu’ils désirent cacher.
Le monde entier saurait alors qu’ils ont menti en s’obstinant à prétendre que leur programme ne vise que des applications civiles, et M. Netanyahu apparaitrait comme celui qui n’a cessé de dire la vérité, et qui a parfaitement raison lorsqu’il expose devant le Congrès les intentions réelles de la junte de Téhéran.
Ceci posé, les 5+1 et l’ensemble de la communauté internationale sont déjà au courant du mensonge et des dissimulations des Iraniens ; mais les négociateurs de l’Allemagne et des membres permanents du Conseil de Sécurité ne peuvent pas renoncer à leur exigence de clarification des activités militaires nucléaires de leurs interlocuteurs. Ce, pour deux raisons : premièrement, parce que le Congrès U.S. a déjà fait savoir que, faute d’obtenir toutes les informations concernant ces activités, il n’entérinerait pas l’accord, et, deuxièmement, parce que les Etats concernés ont impérativement besoin de pouvoir évaluer distinctement le degré d’avancement des Perses en direction de la bombe ; ces informations dicteront les actions qu’ils doivent entreprendre en marge du traité pour se confronter à cette menace.
Troisième et dernier point d’obstruction à la conclusion d’un accord : la levée des sanctions. Pour la "République" Islamique, toutes les sanctions qui la frappent doivent immédiatement disparaître au lendemain de la signature d’un éventuel accord. Le Guide suprême Khamenei et d’autres responsables de la dictature persane ont exprimé ce point de vue de façon péremptoire à des dizaines de reprises.
Pour le Congrès américain, c’est absolument exclu. Même si l’on s’entend à Vienne, les premières sanctions ne pourraient pas être levées avant la fin de l’année, après que l’AIEA aura démontré que Téhéran a rempli tous les engagements auxquels il aurait souscrit. Le reste suivrait graduellement, au fur et à mesure des feux verts de Vienne, concernant notamment, outre le résultat des inspections, la mise en chantier des modifications à apporter à la centrale à eau lourde d’Arak, pour l’empêcher de produire du plutonium utilisable pour la confection d’une bombe, et la mise en place des dispositions agréées dans les centres d’enrichissement d’uranium de Natanz et Fodow, pour limiter leur production, en quantité et en degré de pureté du minerai.
On touche ici au cœur de la négociation, à sa raison d’être pour les ayatollahs. Avec, à la clé, des sommes considérables dépassant les cent milliards de dollars en cash pour les Iraniens, en plus de la possibilité de réintégrer le système économique mondial. Ce qui permettrait à l’Iran, entre autres choses, de tripler sa production de brut, pour la porter au quatrième rang mondial, avec 4,5 millions de barils/jour, derrière les Etats-Unis, l’Arabie Saoudite et la Russie qui vire en tête.
Nul doute qu’avec de telles ressources, la "République" Islamique deviendrait rapidement un pays riche. Or la levée graduelle des sanctions permettrait, au moins, de s’assurer que ces nouveaux revenus ne seraient pas immédiatement utilisés pour s’emparer du sud de l’Irak, imposer la suprématie chiite-alaouite en Syrie, booster la rébellion au Yémen, et se saisir du pouvoir (c’est presque déjà fait), par Hezbollah interposé, au Liban.
Pour Israël et les grands pays arabes (sunnites) du Moyen-Orient, même si l’annulation des sanctions se faisait progressivement, ces terribles conséquences stratégiques seraient inévitables, tout comme l’affrontement qui ne manquerait pas de s’ensuivre. C’est pour cela qu’ils considèrent que, quoique le traité contienne, ce serait un mauvais traité ; que l’objectif stratégique logique qui devrait être poursuivi est celui de la confrontation avec ce régime et non celui de la conciliation.
Reste, a minima, à s’assurer qu’un accord retarderait conséquemment l’accession de Téhéran à l’arme nucléaire. Pour cela, il importe que les négociateurs des 5+1 ne cèdent rien de plus lors des dernières péripéties des discussions, que le Congrès ne se laisse pas aveugler par l’enthousiasme de John Kerry et de Barack Obama, et qu’il demeure ferme sur ses exigences.
En fait, Khamenei s’est montré catégorique sur son refus de céder sur les trois sujets qui restent sans solution. Mais déjà, la nuit dernière, des rumeurs ont fait état d’une proposition ramenée par Mohammad Zarif de son bref passage à Téhéran pour résoudre la question des visites des inspecteurs sur les sites sensibles. A Vienne, on était précisément en train de la discuter pendant que j’écrivais mon analyse.
On doit également se demander ce qui se passerait si, en dépit de l’obsession de l’Administration Obama de parvenir à un accord, et de celle des ayatollahs de toucher le jackpot, on découvrait, ces tout prochains jours, qu’il n’y aura pas de traité avec la théocratie persane.
Israël et ses nouveaux alliés régionaux sabreraient le Champagne sans alcool. Mais au-delà, la guerre ou la paix dépendraient de l’attitude de Téhéran : si, même sans s’être engagé à quoi que ce soit, il continuait à se comporter comme le prescrit l’accord officieux et temporaire du 1er janvier 2014, en limitant son enrichissement d’uranium au-dessous de 5%, en évitant de rendre Arak opérationnel, et en conservant une relative transparence sur ses activités, la situation qui prévaut actuellement pourrait perdurer encore… un certain temps.
Si, au contraire, les ayatollahs relançaient leur programme nucléaire à pleine vapeur, ou même, s’ils augmentaient l’enrichissement du minerai à 20 pour cent, le rythme de son enrichissement, ou la taille de leurs stocks ; s’ils terminaient le réacteur d’Arak dans sa conception originelle, qui lui permet de produire du plutonium, on se dirigerait rapidement vers un conflit armé, car l’Iran ne se trouve qu’à six ou huit mois de la capacité de fabriquer une première bombe.
Israël et les grands Etats arabes n’hésiteraient pas à intervenir. Reste à savoir quelle serait la conduite des 5+1. A notre avis, des pays européens pourraient participer à la cognée, mais pas les Etats-Unis de Barack Obama, pour qui une confrontation avec les ayatollahs n’a jamais été à l’ordre du jour. Il ne pourrait cependant pas, sous la pression du Congrès, refuser à Jérusalem le droit d’agir militairement là où il a échoué sur le terrain diplomatique ; et il serait probablement contraint de lui livrer les armes dont Tsahal a besoin et de lui offrir un soutien logistique, tout cela, à contrecœur, évidemment.
On n’en est pas là, même si tout peut dégénérer assez rapidement. Le traité peut encore être signé. Ensuite il doit être présenté au Congrès pour y être entériné. Si au moins une de ces occurrences ne se réalisait pas, la décision de guerre ou de non-guerre demeurerait entre les mains de Khamenei. La suite participe d’une autre période des relations entre les pays du Moyen-Orient ; une région qui passe son temps assise sur des barils de pétrole et des barils de poudre, qui ne manquent pas d’exploser de temps à autres. Comme en Irak, en Syrie, au Yémen et au Liban actuellement. Mais cela, malgré le nombre des morts, n’est qu’une "petite guerre" en comparaison d’une confrontation directe avec l’Iran.