Alyah, par Éliette Abécassis
Une recension de Jean-Pierre Allali
Dès les premières pages, le ton est donné et l'angoisse est au rendez-vous.
Rarement, une œuvre littéraire, un roman en l'occurrence, aura concerné, de manière aussi intime et aussi directe, l'actualité la plus récente et la plus inquiétante : la montée exponentielle de l'antisémitisme en France sous couvert d'antisionisme et autres faux semblants.
Dès les premières pages, le ton est donné et l'angoisse est au rendez-vous. Esther Vidal, maman juive parisienne, est divorcée. D'origine marocaine, née à Strasbourg, elle enseigne à l'école publique, mais a inscrit ses enfants à l'école juive, une école où, depuis le 9 janvier 2015, des militaires montent la garde. Tous les matins, elle répète ses instructions : « Quand nous prenons le métro, nous ne devons pas faire allusion au fait que nous sommes juifs. C'est la même chose dans le bus, les taxis et dans tous les transports en commun. C'est également valable dans les cinémas, les magasins, les parcs et les jardins. C'est bien compris ? ».
C'est que, depuis quelque temps, un vent mauvais souffle sur la France. L’islamo-nazisme s'installe et fait des ravages. Il y a quelques années, Esther Vidal sortait tout naturellement avec une Maguen David autour du cou et ne baissait pas la voix pour dire son nom quand elle allait chercher un colis à la poste. Aujourd'hui, on peut être agressé à la sortie d'une école ou d'une synagogue et, lors d'une manifestation, on a pu entendre « Mort aux Juifs ». Avant, on pouvait enseigner la Shoah dans les lycées et collèges sans être conspué. Ce temps, hélas, est révolu. Il n'est pas rare, désormais, d'entendre en milieu scolaire des abominations comme : « Hitler avait raison, dommage qu'il n'ait pas terminé son travail ». Il fut un temps où les Juifs originaires du Maroc et des pays arabes, les Sépharades, se plaisaient à retourner en vacances au pays de leurs ancêtres. Pour aller en pèlerinage dans les cimetières ou bronzer sur les plages de sable fin fleurant bon le jasmin. Ce temps aussi est révolu. Désormais, on choisit Israël, où, en attendant le moment de faire le grand saut, l'alyah, on achète un bien immobilier, au cas où.
« Il y a quelques années, on pouvait faire ses courses sans risquer sa vie. Philippe Braham, Yohan Cohen, Yoav Hattab, François-Michel Saada n'étaient pas morts ». Ilan Halimi était heureux et Mohamed Merah n'avait pas assassiné des enfants juifs à Toulouse.
Esther Vidal, comme son amie intime, Gabrielle, enseignante, elle aussi, mais dans une école juive, suit avec angoisse l'actualité. Elle remarque néanmoins, avec optimisme, le discours vibrant du Premier ministre, Manuel Valls, qui a formulé des regrets et même des excuses.
L'ouvrage d'Éliette Abécassis est aussi l'occasion de raconter l'histoire des Juifs en terre d'islam avec leur statut infamant de dhimmis, citoyens de seconde zone, méprisés et harcelés, le drame des Chrétiens d'Orient ou encore le rôle du Qatar.
Dans ce roman que l'on subodore comme fortement autobiographique, l'auteur, au passage, évoque indirectement l'action du CRIF à travers l'un de ses personnages, Éric Banon, qui mène un travail d'investigation approfondi sur le Web et l'antisémitisme « dans le sillage de Marc Knobel et de son livre : L' Internet de la haine ».
L'amour est aussi présent dans ce beau récit. On découvre Julien, écrivain à succès, spécialiste des rendez-vous manqués et des SMS d'excuses et Stéphane, divorcé, qui a créé une start-up et qui estime, pour sa part que « le 11 janvier, les Juifs ont pris une sacrée claque. Ils ont vu que ces gens n'étaient pas là pour eux ». Stéphane, qui songe sérieusement à quitter la France, ne manque pas de rappeler, lors d'une conversation, que Bernard Cazeneuve, Ministre de l'Intérieur a confié que s'il n'était pas Ministre, il défilerait aux côtés des Palestiniens.
Gabrielle avec sa famille, choisit finalement l'alyah. Que fera Esther ? L'une des dernières phrases du livre qu'elle prononce, nous donne une piste : « Dans dix ans, je ne serai plus en France ».
Un très beau livre.
Note :
(*) Éditions Albin Michel. Mai 2015. 256 pages. 18 euros.