Proche-Orient : un parfum de tempête (info # 010605/11) [Analyse]
Par Jean Tsadik©Metula News Agency
Heureux les innocents car ils seront les premiers à frapper aux portes de l’Eden. Heureux ceux qui peuvent croire, car, au ras du gazon, l’avenir est menaçant.
A la veille du 63ième anniversaire de la fondation de l’Etat d’Israël, d’énormes nuages s’amoncèlent dans le ciel printanier du Moyen-Orient. Jamais encore l’Etat hébreu n’avait connu de situation stratégique aussi néfaste.
Ceci dit, les calamités qui planent sur notre région sont exactement les mêmes que celles qui visent l’Europe et les Etats-Unis ; à l’exception près, mais elle est de taille, que nous sommes plus que jamais aux avant-postes, plus que jamais la tête de pont d’un monde envahi par le doute et l’instabilité, alors que nos alliés objectifs disposent de la profondeur stratégique que leur procure l’éloignement géographique.
Encore qu’en un temps où nos pires ennemis communs s’emploient à mettre au point l’arme atomique et les moyens de la transporter, ledit éloignement fait plutôt figure d’un trompe-l’œil, et même d’une illusion dangereuse.
Il y a des dangers que l’on évalue mieux et contre lesquels on se prépare mieux lorsque, comme à Métula, c’est sous notre fenêtre qu’ils prennent forme.
En cette période dans laquelle il est indispensable de poser une analyse précise et dépouillée des éléments sans importance qui tentent de la parasiter, il appartient aux analystes d’effectuer les élagages qui s’imposent. Pour dire, par exemple, que le problème des implantations n’a pas sa place dans l’équation globale qu’il y a lieu de présenter.
Non plus que les critiques infondées contre les actions prétendument inhumaines que nos adversaires véhiculent. Pour effacer ces critiques de notre table de travail, il n’est que de rappeler que la Russie poutinienne a massacré 200 000 musulmans Tchétchènes, soit 20% de la population de ce pays, sans que ce génocide n’ait même obtenu les faveurs d’une discussion construite au Conseil des Droits de l’Homme.
A l’heure où la népotie syrienne tire avec ses chars sur sa propre population, et où l’OTAN bombarde Tripoli, se focaliser sur les 1400 victimes du conflit légitime de 2008-2009 entre Israël et le Hamas procède, sans l’ombre d’un doute sensé, d’un ordre de priorité déplacé.
La même constatation s’applique aux préoccupations de ceux qui prétendaient que Jérusalem était la responsable de l’isolement de la Bande de Gaza, alors que le Caire s’apprête à briser ledit isolement, sans le concours d’Israël et sans son assentiment.
Avec une frontière de Rafah largement rouverte, à moins d’être atteint de cécité intellectuelle ou d’une autre maladie grave, on doit se demander à quoi riment les flottilles qui prennent la mer, chargées de produits qui ne manquent pas à Gaza et qui n’y ont jamais manqué.
Attention aussi à ne pas accorder l’importance stratégique qu’elle n’a pas à l’élimination d’Oussama Ben Laden. Un beau coup de propagande pour un Président Obama complètement dépassé par les événements de la planète, mais cela s’arrête là. Cela fait des années que nous le répétons dans ces colonnes, Al Qaeda est un mythe ; un nom de ralliement pour les mouvements djihadistes violents, à l’instar du Hamas, et une matérialisation opportune pour les politiciens de l’Ouest, désireux de démontrer leur volonté de combattre cette forme-là de l’islam, tout en n’en faisant rien.
Si Al Qaeda se trouvait à l’origine, ne serait-ce que de la moitié des mauvais coups qu’on lui attribue, ça n’est pas dans une villa isolée qu’on aurait trouvé Ben Laden, mais au trentième étage du plus haut gratte-ciel du Pakistan. Il ne faudrait, en effet, pas moins qu’une organisation de cette dimension pour coordonner toutes les activités en cours du mouvement djihadiste.
Certes, Ben Laden avait réussi à phagocyter l’Afghanistan ; c’est lui qui avait probablement financé les assassinats collectifs du 11 Septembre. Mais pour le reste, il se contentait d’envoyer des fonds aux dizaines de groupuscules islamistes armés qui combattent l’Occident et ses alliés, et de leur fournir des professeurs experts dans l’art de la guérilla, des mercenaires – souvent originaires d’Ukraine et de Serbie – dont on louait les services pour des actions et des périodes limitées, et qui, le plus clair du temps, ignoraient jusqu’à l’identité de leur employeur.
Car la force du djihadisme, c’est précisément d’être capable d’agir de façon indépendante, sans avoir besoin d’une structure pyramidale centralisée. Le coran, l’interprétation hégémonique qu’en font des imams illuminés, des armes rudimentaires, des mercenaires pour leur apprendre à s’en servir, c’est tout ce dont les moudjahidin ont besoin. Ils savent exactement ce que l’on attend d’eux, d’Afghanistan en Mauritanie et en Algérie, avec ou sans Oussama Ben Laden.
Lorsqu’ils observeront que les activités des djihadistes armés n’auront pas été affectées par la disparition du cheikh saoudien éliminé, les confrères analystes devront bien se plier à notre raison. Ben Laden, hors d’Afghanistan, n’était le chef de personne. D’ailleurs, occupé à se cacher et à cavaler devant les agents américains dans la clandestinité, il aurait été absolument incapable, s’il avait été chef, de transmettre des ordres à qui que ce soit. S’il l’avait fait, cela fait longtemps qu’il serait mort.
Quant à l’affaire du faux rapport Goldstone, au regard des changements en cours, elle doit être considérée comme une péripétie sans importance majeure.
Ce, car il est indispensable de se concentrer uniquement, si l’on entend établir la nouvelle carte stratégique du globe, sur les phénomènes qui modifient effectivement les paramètres de l’ "ancien monde". Certaines capitales sont, hélas, déjà prises de vitesse, et se montrent incapables de déchiffrer les nouvelles donnes et leurs conséquences probables.
Dans ce gigantesque tourbillon, l’Autorité Palestinienne, ses capitaines et ses ambitions se sont laissé engloutir par les manœuvres de beaucoup plus grands qu’eux.
La faute à qui ? La faute au "Printemps arabe", en général, et au "Printemps égyptien", en particulier. Et on aurait tort de jouer les étonnés, car cela faisait des décennies que tous les services de renseignement occidentaux redoutaient la chute des dictateurs alliés sur les bords du Nil, et qu’ils admettaient que cela n’était "qu’une question de temps".
La nouvelle donne, c’est l’extraordinaire avancée de la "République" Islamique d’Iran, la ré-arabisation du pays des pyramides, la débâcle stratégique des Etats-Unis, le rôle prédominant et gêneur de la nouvelle Russie, basé sur son empire énergétique devenu nourricier de l’Europe, et sur la dérive incontrôlée de l’Europe, précisément.
L’Iran des ayatollahs constitue le vecteur prédominant de la nouvelle carte. Khamenei et ses barbus se sont emparés du Liban, sans coup férir, sans générer la moindre réaction de l’Occident digne d’être mentionnée, et ils y imposent désormais leur loi.
Pendant que les sots et les naïfs accordent de l’importance aux tentatives de la marionnette Nagib Mikati, qui durent depuis des mois, afin de former un gouvernement à Beyrouth, les Perses se répandent dans tous les domaines revêtant une importance stratégique au pays des cèdres.
Les Pasdaran en uniforme affluent, ils s’emparent, avec l’aide de la milice du Hezbollah à leur botte, de toutes les zones sensibles, d’où ils excluent aussitôt les inconsistants représentants d’une autorité étatique ne possédant ni les moyens, ni les ordres, ni le moindre soutien extérieur pour leur faire obstacle. D’ailleurs, même au sein du gouvernement fantôme de cet ex-Etat, les mollahs disposent de la majorité.
Les armes s’amassent, les techniciens de Téhéran installent des positions de missiles antiaériens et de fusées de tous calibres. Les Gardiens de la Révolution pénètrent, chaque jour davantage, l’inconsistante armée libanaise et en prennent le commandement. Ils établissent ainsi, au sud du Liban, un front crédible contre Israël, et, sur la plage méditerranéenne, des positions, face à Chypre et à l’Europe, dans lesquelles ils s’apprêtent à déployer des missiles balistiques.
Suite au détrônement d’Hosni Moubarak, le même scénario est en train de s’établir à Gaza. Et le djihadisme à la sauce iranienne ne connaît aucun temps mort ; c’est ainsi que Téhéran utilise à fond le flottement régnant au sein de l’armée et de la police égyptiennes pour faire passer des armes et des conseillers dans la Bande.
La nouveauté, c’est que l’ "Egypte transitoire" pactisant avec Téhéran, a cessé de soutenir Mahmoud Abbas et de combattre Ismaïl Hanya.
Le pacte de réconciliation signé cette semaine dans la capitale égyptienne constitue une véritable déclaration de politique étrangère. La junte militaire vient de sacrifier l’OLP, l’Autorité Palestinienne et la création d’une Palestine indépendante en faveur d’une reprise de la confrontation avec Jérusalem et avec le monde non musulman.
Et ceux qui ont remplacé Moubarak et Souleiman se moquent éperdument des traités internationaux qu’ils avaient signés. Les voici qui ont fait parvenir un message hostile et provocateur à Jérusalem : "N’essayez pas de vous opposer à la réouverture de la frontière de Rafah avec Gaza !".
L’accord de 2005, impliquant l’Union Européenne et l’Autorité Palestinienne, a volé en éclats. Il prévoyait que l’AP, avec l’aide d’inspecteurs européens, était responsable du transit à la frontière entre le Sinaï et Gaza ; avec, pour objectif principal, d’empêcher la contrebande d’armes et le passage de terroristes.
Depuis le coup d’Etat du Hamas en 2007, le Caire faisait lui-même la police à sa frontière, en coopération totale avec les Hébreux.
Tout cela est terminé. C’est le prix que paie Mohamed Tantawi, le président du Conseil militaire suprême égyptien, au Guide suprême Khamenei, contre la signature de Khaled Mashal sur l’accord de "réconciliation" avec l’OLP. La reprise des hostilités entre l’Egypte et Israël n’est peut-être pas pour demain, mais la coopération sécuritaire entre les deux pays a vécu. A l’instar de toutes les autres formes de coopération : l’ambassade israélienne au Caire et égyptienne à Tel-Aviv ne servent plus à grand-chose. Les relations ne sont maintenues par le maréchal Tantawi et ses collaborateurs que pour donner le change à Washington, et ne pas provoquer une cessation de l’aide financière américaine, vitale pour le nouveau régime.
Désormais, le Hamas fait partie intégrante de l’Autorité Palestinienne. Mahmoud Abbas, écœuré, a fait savoir qu’il ne briguerait pas, à l’automne, un nouveau mandat de président. Salam Fayyad, le 1er ministre, l’architecte du renoncement à la violence, du boum économique et de la reconnaissance de l’Etat palestinien par des dizaines de nations, a saisi, sitôt l’annonce du traité du Caire, qu’il devait céder sa place et renoncer à sa politique.
Certes, à Ramallah, siège de l’AP, des dirigeants ont assuré Sami El Soudi, qu’au-delà de la symbolique du rabibochage, le Hamas n’avait aucune intention de céder les rênes du pouvoir à l’Autorité, et que l’OLP n’était pas non plus disposée à permettre aux islamistes de se réinstaller en Cisjordanie.
Mais, dès la semaine prochaine, les consultations en vue de former un gouvernement d’union nationale, via des technocrates, vont s’engager. L’Autorité Palestinienne est maintenant à moitié constituée par une organisation islamiste et djihadiste, dont l’objectif est de torpiller toute avancée vers la paix entre Arabes et Israéliens.
Et, pour ceux qui auraient tendance à l’oublier, le Hamas est très officiellement la branche palestinienne des Frères Musulmansd’Egypte, et il a été fondé à l’initiative de ces derniers. Cela en dit long quant à l’influence des Frèresdans le "Printemps" égyptien et au sein du gouvernement de transition.
La communauté internationale, qui était toute disposée, par la politique de Fayyad, à reconnaître un Etat de Palestine, écoute Ismaïl Hanya, de l’Autorité Palestinienne, faire l’éloge d’Oussama Ben Laden, et stigmatiser ses "assassins".
L’Occident ne saisit visiblement pas la portée de l’intégration des Frères Musulmanspalestiniens, à part entière, dans l’AP. Il semble ne pas comprendre, qu’au vu de l’état de la région, des moyens à disposition des uns et des autres, de l’aide qu’ils perçoivent et de leur degré d’organisation, on se dirige plus vraisemblablement vers une ingurgitation de l’OLP par le Hamas, que vers un changement d’objectifs d’Hanya et de Mashal, les protégés et les pions de Khamenei.
Car un Hamas qui accepterait l’existence d’Israël, renoncerait au terrorisme et reconnaîtrait les accords passés entre Ramallah et Jérusalem ne serait plus le Hamas. Et, plus encore : les Frères Musulmans ne seraient plus les Frères Musulmans, et la "République" Islamique d’Iran ne serait plus islamique…
Benyamin Netanyahu, dans ces circonstances, a beau jeu de clamer, à Paris et à Londres, que si le Hamas remplissait ces trois conditions, il pourrait reconnaître l’Etat palestinien avant même la réunion de l’Assemblée Générale de l’ONU en septembre ; car il sait que cela n’arrivera pas.
Netanyahu, d’ajouter à l’intention de ses interlocuteurs que "l’attente qui est la nôtre, de même que celle de toute personne équilibrée, consiste à demander à quiconque déclare vouloir la paix avec Israël d’abandonner son objectif de destruction d’Israël. Nous pouvons faire la paix avec un ennemi, mais uniquement un ennemi qui veut la paix", a conclu le 1er ministre.
La posture des Britanniques, des Italiens et des Américains est identique. Seule celle des Allemands diffère ; ainsi, Angela Merkel a pu informer Mahmoud Abbas de vive voix à Berlin, que son pays ne reconnaîtrait pas la Palestine hors d’un règlement mutuellement consenti entre l’AP et Israël.
Hillary Clinton et le ministre transalpin des Affaires Etrangères, Franco Frattini, lors d’une conférence de presse commune à Paris, ont fait état des mêmes pré-conditions pour accepter le Hamas comme partenaire de négociation. Nicolas Sarkozy et David Cameron, qui ont rencontré Netanyahu, partagent la même position. Mais aucun de ces alliés objectifs d’Israël n’exclut, à priori, de négocier avec la nouvelle Autorité Palestinienne.
Les Occidentaux ne peuvent guère demeurer insensibles à un autre des arguments infaillibles que leur a présenté le Président du Conseil israélien : "l’idée n’est pas de proclamer un Etat palestinien afin de perpétuer le conflit, comme le Hamas le désire, mais de créer un Etat pour mettre fin au conflit".
Quoi qu’il en soit, quelles que soient les conséquences réelles de ces consultations diplomatiques, il semble que deux points soient aujourd’hui acquis : 1. En dépit de l’intégration du Hamas dans l’AP, il se trouvera probablement une majorité de pays, à l’Assemblée Générale de l’ONU, pour reconnaître la Palestine. Comme le relève Netanyahu, s’il s’agissait de béatifier Oussama Ben Laden, l’Assemblée Générale voterait vraisemblablement de la même façon.
2. Ce que cet assemblage palestinien contre-nature va en revanche modifier, sera le comportement de membres permanents du Conseil de Sécurité ; nombre de ceux-ci n’avaliseront pas la création du nouvel Etat avant que le Hamas n’accepte, officiellement, les trois conditions énoncées.
Mais la diplomatie n’est pas tout. Ces chefs d’Etats – Benyamin Netanyahu compris – se laissent distraire par les vagues causées par le Printemps arabe et galvaudent leur énergie, leur temps et leurs rencontres à deviser sur un sujet – la création de l’Etat de Palestine – qui a disparu de l’ordre du jour depuis la signature du traité du Caire.
La discussion devrait tourner autour du projet nucléaire iranien, et des moyens à employer pour y mettre un terme, alors que les semaines pour une hypothétique intervention sont comptées. Netanyahu ainsi que le Président Shimon Pérès ont clairement évoqué cette priorité à l’occasion du jour de commémoration de la Shoah et des actes de résistance contre l’Allemagne nazie.
L’Occident doit s’organiser face à l’expansionnisme perse, et pour considérer une politique cohérente à l’égard de l’Egypte et du courant croissant qui lui est hostile au sortir des révolutions arabes. Au monde libre de se redéployer afin de continuer d’exister dans un Moyen-Orient de plus en plus opposé à ses valeurs, de même qu’à sa simple présence.
Quant aux Etats-Unis de Barack Obama, ils feraient bien de réaliser que sa politique d’apaisement vis-à-vis de l’islam a exclu l’Amérique de larges zones de notre région. Ils devraient prendre au sérieux la pieuvre russe, qui lance ses tentacules, en forme de gazoducs et de pipelines géants, autour de l’Europe du Nord, médiane et méridionale, et qui s’y entend pour tirer son épingle du jeu de l’affrontement islam-Occident, auquel elle prend le plus grand soin de ne pas participer.
La voilà récemment qui a opposé son veto à l’adoption de résolutions condamnant la violence extrême dont fait preuve Béchar Al Assad à l’encontre de son peuple. Les conseillers de Poutine semblent avoir intériorisé avant l’Europe et l’Amérique que les signes de confrontation entre les deux sociétés allaient rapidement se multiplier, et, qu’à moins d’une prise de conscience sur l’essentiel, filtrée de ses interférences, un affrontement avec l’Iran, à qui on aurait permis de devenir la puissance dirigeante de l’islam, est inévitable.