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La dernière option des alaouites

 

La dernière option des alaouites(info # 011712/12) [Analyse]

Par Michaël Béhé ©Metula News Agency

 

Ce qui fait le plus cruellement défaut au régime alaouite de Béchar al Assad, ce sont les effectifs. En particulier les divisions d’infanterie, au point que cette absence de piétaille est en train de décider de l’issue finale de la Guerre Civile.

 

Avant l’éclatement du conflit entre sunnites et alaouites, l’Armée syrienne comptait environ 300 000 soldats d’active et 300 000 réservistes. La quasi-totalité des officiers supérieurs était alaouite ainsi que 70% des cadres.

 

Mais aujourd’hui, avec les défections continuelles des militaires sunnites et les morts au combat, Jean Tsadik évalue à moins de cent mille le nombre de soldats que le dictateur-oculiste peut effectivement aligner sur le champ de bataille.

 

Et cela ne saurait suffire face à ses ennemis, issus d’une communauté de près de dix-sept millions de sunnites, en comparaison de moins de deux millions d’alaouites. L’Armée Syrienne Libre ne connaît aucun problème de recrutement.

 

Pour ne rien arranger aux affaires du tyran, la supériorité dans le domaine des armes sophistiquées n’est pas de nature à inverser un rapport de forces à terme, même si les insurgés ne disposent pas d’avions, ni de blindés, pas plus que d’artillerie lourde, et que l’Occident n’est guère disposé à leur en livrer.

 

C’est cette situation qui explique le déroulement des combats : les rebelles attaquent partout, le régime, là où il en est capable. La majorité du pays tombe inexorablement entre les mains des sunnites et l’état-major alaouite doit se résoudre à ne pas tenter de récupérer de larges secteurs perdus du territoire.

 

Ce que les généraux de Béchar sont en mesure de réaliser, d’un point de vue tactique, consiste à empêcher, par des raids de plus en plus violents, leurs ennemis de jouir de la moindre normalité dans les secteurs qu’ils ont conquis ; ils n’y sont nulle part à l’abri des Mig et des Sukhoï. Pas plus, d’ailleurs, des hélicos d’attaques, dont la quarantaine de Gazelles SA-341 livrées par la France.

 

Le sort du conflit, à terme, ne laisse pas de place au doute. L’espace contrôlé par les alaouites va continuer de se restreindre telle une peau de chagrin. Jusqu’au moment où la discontinuité entre les lignes des forces du régime ne lui permettra plus de se défendre.

 

Mais cela prendra du temps, car la répartition du matériel et des effectifs des armées en lice, de même que le caractère "de vie ou de mort" de l’enjeu, participent d’une recette assurée pour un très grand nombre de victimes sur un laps de temps qui se prolongera.

 

Il faut encore ajouter à l’équation les renforts étrangers qui combattent dans l’armée du pouvoir, et notamment quelques 3 500 Libanais chiites du Hezbollah et environ 5 à 7 000 Gardiens de la Révolution iranienne. A noter également que chaque village alaouite est doté de sa propre milice, puissamment armée et organisée de longue date afin de pouvoir, en principe, assurer seule la défense de ses habitants.

 

Et à armes égales – fusils-mitrailleurs et mortiers – avec le nombre du côté des sunnites et les positions pré-aménagées de celui des alaouites, la confrontation autour des villages s’annonce sanglante.

 

Reste que toutes ces considérations aboutissent à la même conclusion : la communauté de l’actuel dictateur ne pourra, en fin de compte, pas se maintenir. Même ses alliés russes viennent, cette semaine, de le concéder. Et on se dirige, jour après jour, vers un massacre des deux millions d’alaouites, un véritable génocide.

 

Il en est beaucoup question, au Liban, en Israël, et parmi les Etats membres de l’OTAN, car on désire éviter cette catastrophe et toutes les conséquences humaines et humanitaires qui lui sont liées.

 

Mardi dernier, les responsables de ces entités ont reçu une piqûre de rappel quant à la proximité d’un massacre général. Ce fut à l’occasion de l’assassinat collectif de quelques 250 alaouites de la petite ville d’Aqrab, dans les environs de Hama. Cette agglomération sert de demeure à 9 000 sunnites et 2 000 alaouites.

 

Le 2 décembre, soit neuf jours plus tôt, quatre véhicules avaient amené à Aqrab des combattants venus de la cité d’al Houla.

 

Ils ont réuni cinq cents personnes, hommes, femmes, et enfants, dans l’immeuble à deux étages du businessman local, Abou Ismaïl. Les hommes en armes ont privé leurs prisonniers de nourriture durant plus d’une semaine, les contraignant à sucer l’eau dégoulinant sur la façade les jours de pluie.

 

Mardi dernier, malgré la tentative de négociation entreprise par trois dignitaires sunnites du village, l’imam, le maire et un ancien officier à la retraite, les geôliers ont ouvert le feu "dans le tas" et pendant plusieurs heures.

 

Les media sunnites, à l’instar d’Aljazzera et les organes d’ "information" de l’Armée Syrienne Libre, ou de ceux qui s’expriment en son nom, tentent soit d’accuser l’aviation de Béchar d’être à l’origine de ce massacre, soit ils présentent une image confuse quant à la responsabilité de ces morts. Soit, enfin, ils "expliquent" que ce massacre a constitué la vengeance pour des frappes contre les civils sunnites d’al Houla, qu’aurait perpétrées l’armée d’al Assad, le 25 mai dernier. A en croire L’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme (OSDH-SOHR), basé à Coventry, au Royaume-Uni, 108 civils sunnites auraient été tués à cette occasion.

 

Mais l’OSDH n’est pas une source crédible pour nombre d’observateurs, en dépit du fait qu’elle est citée de long en large par la plupart des media occidentaux. Pour Alain Chouet, un ancien responsable de la sécurité intérieure française et un spécialiste du Moyen-Orient que nous avons déjà cité dans ces colonnes, l' "OSDH fonctionne sur des fonds saoudiens et qataris, et il est en fait une émanation de l’association des Frères Musulmans ; il est dirigé par des militants islamistes dont certains ont autrefois été condamnés pour activisme violent".

 

En plus de ces informations, la Ména a observé qu’Aljazzera permet régulièrement à l’OSDH de faire usage de ses réseaux de diffusion ainsi que de sa logistique. A notre avis, et nous recevons toutes les nouvelles de l’OSDH, nous sommes en présence d’un organe de propagande n’effectuant pas même l’esquisse de la recherche de l’équilibre narratif ni de l’exactitude dans la description des faits.

 

Et la représentation de cette guerre fait partie intégrante de celle-ci. Ces "media" n’ont ainsi pas rapporté que les assassins d’Aqrab étaient des mercenaires islamistes étrangers de l’organisation al Nusra1. Selon les témoins interviewés sur place par des confrères européens, ces terroristes ne pratiquaient pas l’arabe syrien et n’arboraient pas l’apparence des Syriens habitant la région. "On ne comprenait pas ce qu’ils disaient", rapportent les personnes interrogées, aussi bien sunnites qu’alaouites.

 

Or on parle de plus en plus d’al Nusra, la plus combative et celle qui compte le plus de succès parmi les composantes de l’ASL. Al Nusra se prétend sunnite, islamiste et djihadiste, aligne 12 000 combattants dans la Guerre Civile. Elle s’en prend avec sauvagerie à tout ce qui n’est pas sunnite, multipliant attentats aveugles et exécutions sommaires.

 

Elle a admis dans ses rangs, bien qu’elle s’en défende, des milliers de mercenaires djihadistes venus du monde entier, et, particulièrement, des individus ayant participé à la Guerre d’Irak. Cette organisation se veut l’ennemie des Etats-Unis et d’Israël, et elle a menacé l’Occident des foudres de l’enfer en cas d’intervention en Syrie.

 

L’administration Obama vient d’ailleurs, il y a de cela trois jours, de placer al Nusra sur sa liste des organisations terroristes et de la soumettre à des sanctions. Le Département d’Etat US considère al Nusra comme "une organisation terroriste étrangère".

 

Le recours aux djihadistes étrangers ajoute à la confusion quant aux finalités poursuivies par l’Armée Syrienne Libre et ses financiers. Le fait que ceux-ci investissent massivement de l’argent en Europe ne fait pas de ces derniers des régimes fréquentables.

 

Le monde arabe se situe en pleine guerre de religion – entre sunnites, d’une part, et chiites et alaouites de l’autre - et en pleine pré-guerre entre la religion (sunnite) et la laïcité (en Egypte et en Tunisie pour le moment).

 

Si rien n’est fait, l’on se dirige vers le génocide des alaouites syriens, cela ne prête pas au doute pour tous les analystes de la région que je connais. Ce massacre sera accompagné d’attaques visant les autres minorités de Syrie, au premier rang desquelles les chrétiens, les Druzes et les Kurdes. Ces batailles seront, de plus, émaillées par des conflits violents entre les diverses forces constituant l’ASL.

 

On peut préciser, à ce propos, que les officiers qui dirigent l’ASL sont, presque tous, des transfuges de l’armée d’al Assad. Pour la plupart, ils sont marqués par l’idéologie baathiste, d’inspiration laïque, et ne goûtent que très modérément de devoir faire le coup de feu aux côtés de barbus islamistes à l’image de ceux d’al Nusra.

 

Autre mythe : contrairement à une idée répandue en Europe et aux Etats-Unis, l’abandon du pouvoir ou le décès de Béchar al Assad ne signifierait pas la cessation de la Guerre Civile. Car ce conflit, à l'inverse de ceux d’Egypte, de Libye, du Yémen et de Tunisie, ne participe pas d’une révolution contre une personne, mais d’une révolte d’une communauté dominée, la sunnite, contre une communauté dominante et accapareuse des privilèges, l’alaouite.

 

De plus, le fait que la religion alaouite ne soit pas uniquement d’inspiration musulmane ajoute à l’excitation des combattants islamistes avides de revanche et de "pureté" théologique.

 

Or si al Assad venait à disparaître, il serait immédiatement remplacé par un autre dirigeant alaouite, et la guerre se poursuivrait jusqu’au déracinement du dernier alaouite de la terre de Syrie.

 

Pour Béchar al Assad, enfermé dans sa forteresse dans Damas en proie aux combats, il ne reste en fait qu’une seule solution de survie pour lui et son peuple, le rassemblement dans la région de Lattaquié-Tartous. Ce serait d’ailleurs son projet selon les conseillers russes qui viennent de s’entretenir avec lui. Mais la question que nous nous posons est la suivante : reste-t-il suffisamment de clairvoyance à ce despote pour prendre cette décision et abandonner un empire qui s’étale de la Méditerranée à l’Irak ?

 

Rien n’est moins sûr, les chefs alaouites ayant, par le passé, souvent manqué de lucidité, à laquelle ils ont fréquemment préféré l’usage de la violence sans frein. La croyance en la force brutale est, malheureusement un trait traditionnel de l’histoire de cette communauté.

 

Elle n’en serait pas là où elle se trouve si elle avait conclu un traité de paix avec les Israéliens. Ce, à la place de maintenir le peuple sous état d’urgence, de 1963 à nos jours, au prétexte fallacieux de la nécessité de faire la guerre à Israël. Si elle s’était ouverte sur le monde, avait cessé de se raidir, de guerroyer à tout vent, si les alaouites s’étaient souciés du bien-être des autres Syriens et de leur concéder une part de pouvoir…

 

Et les al Assad n’en seraient pas là non plus s’ils n’avaient pas décidé d’assassiner notre ancien 1er ministre, Rafic Hariri, parce qu’il leur avait tourné le dos. Cet assassinat, en plein Beyrouth, aura marqué pour eux le début de la fin.

 

S’ils se replient sans tarder dans les frontières de l’"Etat des alaouites", qu’avaient fondé pour eux les Français à la fin de la 1ère Guerre Mondiale, plus tard [1930] appelé le "Gouvernement de Lattaquié", il leur restera une chance de s’en tirer. Car, compte tenu de leur nombre et de leur armement considérable, ils devraient se montrer capables de conserver le contrôle de ce territoire largement plus réduit, et donc plus aisément défendable, au moins jusqu’à faire taire les armes.

 

Il est, de plus, prévisible que les grandes puissances seraient intéressées à se porter garantes de la sécurité d’une enclave de cette sorte. Cela éviterait un génocide commis par les mains de leurs poulains, et garantirait une présence non-islamiste supplémentaire dans la région riveraine de la Méditerranée, tout près des chrétiens du Liban, des Juifs d’Israël et des Turcs, qui sont musulmans mais non arabes.

 

Accessoirement, cela maintiendrait une certaine profondeur stratégique au profit de la milice chiite du Hezb libanais. Car ici, si Assad tombe, personne ne donne très cher de sa peau.

 

 

 

Note :

 

1Ansar al Jahbat al Nusra li-Al al Sham(les partisans du front pour la victoire du peuple syrien). 

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