Le bouquet garni : Thym et Laurier
Une filiforme présentatrice d’une chaîne de télévision culinaire rappelait que pour réussir un parfait poulet rôti, « il ne faut surtout pas oublier le thym dans le cul du poulet. » On ne choisit pas toujours sa dernière demeure soupira la branche de thym, si certains de mes ancêtres finirent dans les viscères d’impériales momies en Egypte, d’autres se consumaient et exhalaient leurs temples en Grèce et parfumaient les couches des patriciens à Rome. Vous l’avez compris le thym, ne fit pas toujours sa carrière en cuisine.
Liés à jamais, lovés l’un contre l’autre, enserrés par une ficelle, feuilles de laurier et brindilles de thym sont la base incontournable depuis le XVII° siècle de l’illustre bouquet garni qui signe bien des plats, leur conférant une saveur incomparable. En remontant le temps, nous verrons qu’ils connurent des heures plus glorieuses où ils fréquentaient assidûment dieux et déesses.
Thym
Originaire du bassin méditerranéen, le thym, dont on connait plus de trois cents variétés, se répand rapidement vers d’autres régions dont les territoires de la Perse antique et La Mésopotamie avant d’atteindre le centre et le nord de l’Europe aux alentours X° siècle de notre ère. Les espèces les plus cultivées sont le thym commun (thymus vulgaris) et le thym serpolet, appelé farigoule en Provence. Le premier pousse en petits arbrisseaux robustes sur des terrains rocailleux et des coteaux arides qui ne l’effrayent guère tandis que le thym serpolet forme un tapis qui évoque le gazon. Tous deux aiment pardessus tout le soleil et les fortes chaleurs ne les indisposent nullement. Leur parfum persistant embaume les garrigues et maquis où ils abondent.
Mésopotamie, Egypte, Moyen-Orient
Les fameuses tablettes de Yale[1] ne recèlent aucune recette où apparaissent le thym et le laurier. Les Babyloniens parfumaient leurs bouillons[2] avec un bouquet d’ail et de poireau qui est sans doute l’équivalent de notre bouquet garni. La plus ancienne mention du thym en Mésopotamie est l’inscription en caractères cunéiformes sur un rouleau datant du règne d’Ashurbanipal (668-633 avant J.-C.)
L’Egypte, quant à elle, connaît au moins une des variétés de thym depuis des temps immémoriaux, il apparaît dans la liste des 800 remèdes décrits dans le papyrus d’Ebers. Nous ignorons si dans l’Egypte antique, le thym était utilisé en cuisine mais il est sûr qu’il servait pour embaumer les morts. La variété thymbra spicata a été retrouvée dans la tombe de Toutankhamon. L’étymologie du mot thym est sujette à diverses interprétations, l’un d’elle fait dériver le mot de l’égyptien tham qui désigne la variété utilisé par les Egyptiens dans le processus de momification et d’embaumement. Les traités de cuisine arabe médiévaux le citent très rarement, alors qu’il est présent dans tous les traités de médecine et de pharmacopée. Il est vrai que les traités ne donnent pas de recettes populaires mais décrivent une riche cuisine des cités palatiales. Lors de son séjour (1581-1583) de trois ans en Egypte, le médecin de Padou, Prospero Alpini écrit : « il y a aussi la plante de za’atar hendi[3], dont on mange les feuilles séchées avec du sel et du pain, tout comme les Grecs de l’île de Crète font avec l’origan. ». Le za’atar était probablement utilisé depuis toujours dans les campagnes. Le za’atar est un terme générique qui désigne aussi bien les thyms que l’origan et de marjolaine. Le mot désigne aussi un mélange de ces herbes, additionné de sel, de sumac et de graines de sésame. Très populaire au Moyen-Orient la mixture qui était traditionnellement préparée à la maison, varie d’une famille à l’autre dans le dosage et la variété d’aromates utilisés. Le za’atar palestinien qui contient du carvi diffère du za’atar libanais riche en baies de sumac. Les émigrés syriens et libanais émigrés aux U.S.A. depuis les années 1940 ont implanté et popularisé le za’tar associé très souvent au pain et à l’huile d’olive. Le za’atar est un symbole des maisons palestiniennes et la façon de le préparer indique aussi la région et le village d’origine des Palestiniens et est aussi lié bien sûr à des recettes familiales transmises de mères en filles. S’il fut longtemps considéré comme un produit exotique et associé aux boulangeries arabes, par les Israéliens, il fait aujourd’hui partie intégrante de leur cuisine toutes confessions confondues. L’étymologie du mot se prête à plusieurs interprétations. Pour les uns, le terme découlerait de l’akkadien sarsar donc aurait bien une racine sémitique, pour d’autre il est à relier au mot latin satureia qui désigne une variété de sarriette (même famille que les thyms)
Grèce et Rome
Les larmes de la belle Hélène dont l’enlèvement par Pâris déclencha la guerre de Troie, furent transformées en thym au parfum persistant nous dit la légende. Dans la Grèce antique, la plante est dédiée avec le romarin à Aphrodite, déesse de l’amour, de la beauté et de la séduction qui fait naître les passions sans se soucier des conséquences et qui est donc responsable de la guerre de Troie. Une des variétés les plus communes de la Grèce antique est le thym de Crète (thymbra capitata.) La plante était utilisée comme de l’encens dans les fumigations dans les temples, mais aussi pour parfumer les demeures. Les fumées purificatrices ont pour but ont pour but de se prémunir du « mauvais œil » des forces malfaisantes. Son usage est attesté en pharmacopée et elle apparaît autant chez Théophraste, que Dioscorides ou Galien.
Cité à plusieurs reprises par les auteurs grecs, son parfum ne semble pas du goût de Théophraste[4] qui écrit : « le rustre est du genre à se rendre à l’Assemblée après avoir pris une grossière mixture et à prétendre qu’aucun parfum ne sent meilleur que le thym. » Dans les sources grecques, le thym n’est jamais mentionné comme condiment ou herbe aromatique en cuisine ; la seule allusion à un usage gustatif apparait chez Aristophane[5] : « si tu veux bien, gageons une mesure de sel parfumé au thym » Le même Aristophane, évoque aussi une boisson parfumée au thym.
Le thymon grec devient thymus à Rome, le mot est arrivé en Grande Grèce (Sicile) par les colonisateurs grecs. La plante croit spontanément dans une grande partie de la péninsule. Outre les fumigations dans les temples et sur les places publiques, les patriciens romains aimaient en parfumer leurs couches. Ses puissantes fragrances odoriférantes n’en sont pas la seule cause, il ne faut pas oublier que chez les Anciens, une personne endormie est plus facilement la proie des mauvais esprits et des forces du mal, son usage est dans la même logique protectrice.
Quelques auteurs latins évoquent son rôle en cuisine. Virgile décrit le repas des moissonneurs où apparaissent l’ail et le thym pour leur déjeuner. Pline, quant à lui, explique que « lorsque le fromage de brebis était trop vieux et prenait un goût de sel trop prononcé, on le faisait macérer dans le vinaigre et le thym. » Les riches romains appréciaient les sales conditi (sel aux condiments) dont Apicius nous a laissé une recette par opposition aux classes populaires et esclaves qui se contentaient de sel ordinaire qu’Horace appelle sal purus.
Maghreb
Les Labiacées, comprenant origan, marjolaine, sarriette menthe et les différentes sortes de thym, sont largement utilisées dans la cuisine maghrébine, probablement en zone rurale depuis fort longtemps. Ici aussi, le thym a une place prépondérante dans cet herbier magique dont les hommes se sont dotés pour lutter contre les mauvais esprits. A ce titre le thym est associé à de nombreux rituels. Son usage est requis dans tous les moments clés de la vie considérés comme dangereux et qui peuvent éveiller un sentiment de jalousie ou d’envie chez les mauvais esprits. Son utilité première est donc de se prémunir contre les forces du mal qu’il a le pouvoir de garder à distance. Dans les zones rurales de Kabylie, il est notamment utilisé lors de la cérémonie de la circoncision et du mariage. Le circonciseur brûle du benjoin et du thym et les mets dans une corne, il souffle alors vers l’enfant sur qui l’acte vient d’être accompli pour que la blessure se cicatrise et qu’il ne soit pas la proie des forces du mal. Lors du bain, précédent la cérémonie nuptiale, on fait couler de l’eau du soc d’une charrue sur la mariée et elle est lavée avec un savon dans lequel du thym a été incorporé. Il est difficile de savoir si les usages du thym contre les mauvais sont à rattacher à d’antiques traditions berbères ou datent de la présence romaine. Toujours est-il que les diverses variétés de thyms et origans, appelées aussi za’atar au Maghreb, souvent confondues entre elles car elles possèdent sensiblement les mêmes propriétés médicinales et pharmaceutiques sont couramment utilisés dans l’art culinaire. Lesberkoukes à l’origan, le beurre fondu, filtré à travers des touffes de thym, ou la salade de concombre râpé au thym frais font partie du patrimoine culinaire.
Perse
Si nous n’avons pas de terme avestique pour désigner les variétés de thym à la période avestique, plusieurs termes apparaissent en pehlvi. Le sisimbar correspond au thym serpolet mais rien n’indique qu’il fut utilisé en cuisine. Ses emplois sont surtout thérapeutiques et le resteront très longtemps
Le laurier
Peut-être plus que le thym, le laurier joue un rôle primordial dans les rites de purification dans les religions gréco-romaines. Ces rites découlent directement d’une période primitive où l’on attribuait aux esprits des grands pouvoirs. L’homme était continuellement sur ses gardes. Il devait défendre sa famille ; sa maison et lui-même d’éventuelles attaques et du mauvais œil. Le laurier qui dégage une odeur agréable même en brûlant et dont les feuilles ont la particularité de rester vertes toute l’année devient la plante super puissante pour tenir à distance les esprits et s’en protéger. Les hommes ne sont pas seuls à l’utiliser pour se prémunir et se purifier, la plante est aussi utilisée par les dieux. Deux éléments surtout à Delphes, font partie intégrante de la légende d’Apollon, en tant que divinité oraculaire le trépied et le laurier ; avec la lyre et l’arc ce sont là les attributs les plus importants que possèdent Apollon. Dans les Métamorphoses, Ovide conte la légende : « de son carquois, le dieu Eros lance deux flèches dont les effets sont contraires, l’un fait aimer, l’autre fait haïr » la première flèche atteint Apollon, la seconde la nymphe Daphné et soudain Apollon aime ; soudain Daphnée fuit l’amour …. Poursuivie par le dieu amoureux, la nymphe fuit de plus en plus vite et essoufflée, appelle son père au secours : A peine elle achevait cette prière, ses membres s’engourdissaient, une écorce légère presse son corps délicat, ses cheveux verdissent en feuillages, ses bras s’étendent en rameaux….Apollon l’aime encore... Eh bien ! dit le dieu puisque tu ne veux pas être mon épouse, tu seras au moins l’arbre d’Apollon. » Selon la mythologie, avant l’arrivée d’Apollon, la Pythie, prêtresse de l’oracle de Delphes, se purifiait en se baignant dans la fontaine de Castalie et dans les fumées d’un feu de laurier er de farine d’orge. En outre, elle jeûnait pendant trois jours en mâchant des feuilles de laurier. Ce n’est qu’à la fin de ce processus de purification qu’elle prenait place sur le trépied sacré. Le laurier est ainsi utilisé lors de la purification d’Oreste par Apollon après le meurtre de sa mère. Trois vases datant du quatrième siècle avant J.-C., détaille parfaitement la cérémonie. Apollon apparait sur l’un d’entre eux, tenant une branche de laurier de sa main gauche. Sur le second vase on distingue Apollon, tenant cette fois le laurier de sa main droite au dessus de la tête d’Oreste et l’aspergeant d’un liquide contenu dans un bol qu’il tient de sa main gauche. En période d’épidémies, que les anciens attribuaient à de mauvais esprits, le laurier est utilisé comme répulsif. Nous en avons un exemple lorsque Branchus, le jeune homme de Milet auquel Apollon avait accordé le don de prophétie, agite des branches de laurier au dessus du peuple lors d’une épidémie. Puis le laurier devint aussi le symbole des soldats qu’il protégeait et son statut glissa naturellement vers le symbole de la victoire. Les vainqueurs avaient le front ceint d’une couronne de laurier feuilles et baies d’où le mot baccalauréat, qui couronne le cycle des études secondaires cette couronne que dit-on Jules César affectionnait particulièrement parce qu’elle…. cachait sa calvitie naissante. Tous les mythes cités autour du laurier nous renvoient à la même action que l’on peut qualifier de prophylactique, à savoir éloigner les mauvais esprits. Nous savons peu de chose sur le laurier en cuisine chez les grecs, mais les Romains l’utilisaient. Caton nous indique que son écorce était employée dans les gâteaux et ses feuilles apparaissent dans de nombreuses recettes chez Apicius. Vous savez presque tout sur le laurier sauce qui ne donne jamais de fleurs au contraire du laurier rose dont feuilles et fleurs sont hautement toxiques.
Recettes anciennes
Apicius
Sel aux épices
Sel bon pour la digestion, pour faire aller le ventre, et qui empêche toutes les maladies , la peste et tous les refroidissements ; mais il est aussi bien plus agréable qu’on ne l’attendrait. Une livre de sel ordinaire grillé, 2 de sel d’ammoniac grillé, 3 onces de poivre blanc, 2 onces de gingembre, 1 ½ d’ajouan, 1 ½ de thym, 1 ½ de graines de céleri ( si l’on ne veut pas de graines de céleri on met 3 onces de graines de persil) 3 onces d’origan, 1 ½ de graine de roquette, 3 onces de poivre noir, 1 once de safran, 2 onces d’hysope de Crète, 2 onces de feuilles de nard, 2 onces de persil et 2 onces d’aneth.
[1]Il s’agit de trois tablettes d’argile découvertes en Mésopotamie datant d’environ 1700 ans avant notre ère qui détaille plus d’une quarantaine de recettes.
[2]Les tablettes comptent les recettes de bouillon, dont 21 de viande et 4 de légumes,
[3]Le za’atar hendi est l’origanum indicum
[4]Théophraste ; les Caractères
[5]Aristophane (450 -386avant J.-C.) : Les Acharniens.
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