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Le Centenaire du « tritel » ou le « Pogrome de Fez », 17-19 avril 1912, par Paul B. Fenton

Le Centenaire du « tritel » ou le « Pogrome de Fez », 17-19 avril 1912, par Paul B. Fenton

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Dans quelques jours, le monde juif devra s’apprêter à commémorer le centenaire d’une des pages les plus sombres de l’histoire du judaïsme en terre d’islam – le « tritel » ou le « pogrome de Fez », qui eut lieu du 17 au 19 avril 1912 (30 nissan 5672).

Au début du XXe siècle, le Maroc défraie la chronique internationale. Convoité par la France qui désire étendre son empire colonial sur l’Afrique du Nord, il excite aussi les ambitions de l’Angleterre et de l’Allemagne et faillit être la cause d’une guerre mondiale. Profitant de l’instabilité politique interne du pays, la France propose son aide militaire au faible sultan Mouley Hafid qu’elle accule à signer en mars 1912 un traité de protectorat. Cet accord fut perçu comme une trahison de la part du « commandant des fidèles » qui vendit aux infidèles une partie du dâr al-Islâm. Presque immédiatement, l’étendard de la guerre sainte fut hissé, mais impuissante devant l’armée française, la colère arabe se déversera sur les boucs émissaires traditionnels de la hargne musulmane,¬ la communauté juive, accusée d’avoir attiré les Français au Maroc. Au lendemain de la « mimouna », qui devait marquer une certaine symbiose sociale entre Juifs et musulmans, des hordes déchaînées envahirent le quartier juif de la capitale, et pendant trois jours sans répit le pillèrent, le saccagèrent, et en massacrèrent une partie de sa population. Les scènes de barbarie furent effroyables : enfants et vieillards fauchés, femmes et fillettes violées et des enfants kidnappés. Le plus horrifiant fut sans doute la vision apocalyptique de la fuite effrénée des 12 000 habitants du mellah qui cherchèrent refuge dans la ménagerie du sultan où ils demeurèrent sans toit, dans une misère pitoyable pendant des semaines.

La catastrophe ne se mesura pas uniquement en pertes humaines et matérielles. L’incendie du mellah allumé par les Arabes détruisit tout un univers et réduisit en cendres des trésors culturels, des oratoires et des bibliothèques, accumulés au fils des siècles par une des communautés les plus anciennes du monde islamique. Des photographies bouleversantes du drame furent diffusées dans la presse internationale mobilisant le judaïsme mondial comme au temps de l’Affaire de Damas (1840). Il est significatif que la presse sioniste ait perçu, dans le cataclysme marocain, la nécessité impérieuse d’un foyer national juif. Mais, à la différence des pogromes de Kichinev tout récents, le tritel, qui les dépassa peut-être en horreur, n’engendra pas une copieuse production littéraire.

Un regard superficiel donnerait à croire que la tragédie juive de Fès a été oblitérée par les douceurs du Protectorat. Dans l’ouvrage commémoratif que vient de publier aux éditions de l’Institut Ben Zvi, Paul Fenton, professeur à la Sorbonne, montre que la persistance de cette tragédie dans la mémoire collective du judaïsme maghrébin pourrait constituer un des facteurs de l’exode massif des Juifs du Maroc au cours du XXe siècle.

La politique coloniale de la France suscita une confrontation à triple voix, non seulement entre l’Occident chrétien et le Maghreb musulman, mais aussi, en raison de ses retombées dramatiques sur la communauté juive, avec le judaïsme nord-africain. Le recul d’un siècle qui a été témoin de l’extinction des communautés juives du Maghreb, permet d’analyser avec objectivité ce chapitre douloureux de leur histoire. Son étude montre clairement les complicités machiavéliques du pouvoir chérifien et du gouvernement de Paris pour détourner la fureur inévitable de la population musulmane du colonisateur et du sultan. Enfin, ce dernier n’a pas hésité à sacrifier les plus faibles de ses sujets - la minorité juive.

Une soirée commémorative sera consacrée au centenaire du tritel à l’Institut Ben Zvi, le lundi 16 avril, le lendemain aura lieu une journée de réflexion à l’Université de Bar-Ilan, et le mercredi le Professeur Fenton donnera une conférence en français au Centre de recherche français à Jérusalem.

Paul B. Fenton

 

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