Noces juives au Maroc
Contexte historique
Au début de l’année 1832, Delacroix qui n’avait guère voyagé jusqu’alors, se joignit à la délégation du comte de Mornay dépêchée par la France au Maroc auprès de Moulay Abd er-Rahman afin de s’assurer des intentions d’un pays que l’intervention française en Algérie avait alarmé. Interrompu brièvement par un séjour dans cet autre « Orient » qu’est l’Andalousie, le voyage au Maroc qui s’acheva en juin 1832 compte parmi les évènements les plus marquants de la vie du peintre qui déploya sur place une immense activité de dessinateur (dont témoignent les fameux Carnets) emmagasinant fébrilement un trésor d’expériences et de sensations qui allaient nourrir son art sa vie durant.
Analyse de l'image
Le 21 février 1832, Delacroix put assister à une noce juive à Tanger. D’une manière caractéristique de son attitude durant le séjour, l’artiste croqua sur le vif, observa (en particulier la réclusion de la mariée qui est effectivement absente du tableau), enregistrant avec acuité les détails de la fête et de ses prémices. Dès années plus tard, il situera la scène dans la cour intérieure d’une maison tangéroise (celle-là même où s’étaient déroulées les noces ?) dont il avait précisément enregistré l’architecture, notant dans un admirable dessin aquarellé (Louvre) le coloris de chaque élément. Le présent tableau procède donc largement d’un processus de recréation nourri par les souvenirs du peintre et étayé par une série de dessins exécutés durant le séjour qui sont utilisés à la manière d’un collage. Delacroix restitue néanmoins de façon saisissante cette fête judéo-mauresque à laquelle il confère une grandeur intemporelle qui dépasse de beaucoup un exotisme poussivement anecdotique, ce qui déplut peut- être au comte Maison lequel avait hypothétiquement commandé un tableau dont il ne voulut pas. Ne cédant à aucune facilité, en particulier chromatique (nul « chatoiement oriental » dans cette scène de semi-pénombre où un admirable mur blanc reçoit l’essentiel de la lumière), l’artiste compose impeccablement son tableau en faisant contraster la variété des attitudes et des costumes avec la rigueur architectonique d’un lieu scandé d’horizontales et de verticales rouges et vertes.
Interprétation
Esprit libre, mu par une curiosité qui se vérifie notamment à propos des Juifs du Maroc dont l’interprète de la délégation française, Abraham Benchimol, lui ouvrit les portes, Delacroix décrivit assez longuement en janvier 1842 la Noce juive dans la revue Le Magasin pittoresque. S’il ne sut pas toujours s’élever au-dessus des préjugés de son temps (la musique entendue durant le mariage lui sembla n’être qu’une éprouvante cacophonie et il souligna que les « contorsions » des danseuses seraient regardées « chez nous […] comme de très mauvais goût »), il n’en fut pas moins sensible à l’intensité des sentiments et à la solennité riche de formes et de couleurs qui accompagnaient chez ses hôtes les grandes cérémonies et contrastaient avec la froideur compassée des Européens. Surtout, l’expérience de ces noces tangéroises et le travail que réclama sa transcription picturale, aida Delacroix à murir une approche proprement coloriste de la peinture dont les grands maîtres vénitiens et flamands des XVIe et XVIIe siècles avaient posé les jalons. Au Salon de 1841, le tableau reçut un assez bon accueil de la critique qui fut néanmoins déroutée par une facture qui semblait juxtaposer des coups de pinceau « donnés comme au hasard » (Delécluze). Rien d’hasardeux, pourtant, dans l’utilisation prophétique de petites taches de couleurs pures dans les ombres par un peintre auquel le séjour marocain avait confirmé l’intuition de la solidarité de la lumière et de la couleur indissolublement mêlées dans un jeu infini de reflets.
Etude en partenariat avec le musée d'art et d'histoire du Judaïsme
Auteur : Alexis MERLE du BOURG
Bibliographie
JOHNSON Lee, The Paintings of Eugène Delacroix – A critical catalogue. 1832-1863. Volume III. Text. Oxford, 1986, éd. revue et corrigée, 1993, n° 366.
RAUTMANN Peter, Delacroix, Paris, 1997, p. 161-166.
ROSSI-BORTOLATTO Luigina (introduction P. GEORGEL), Tout l’œuvre peint de Delacroix, Milan, 1972, éd. fr. Paris, 1984 (revue et mise à jour par H. BESSIS), n° 295.
TRAPP Frank Anderson, The Attainment of Delacroix, Baltimore et Londres, 1971, p. 129-134.
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Titre : Noce juive au Maroc.
Auteur : Eugène DELACROIX (1798-1863)
Dimensions : Hauteur 105 cm - Largeur 140 cm
Technique et autres indications : Huile sur toile
Lieu de Conservation : Musée du Louvre (Paris) ;site web
Contact copyright : Agence photographique de la Réunion des musées nationaux. 254/256 rue de Bercy 75577 Paris CEDEX 12. Courriel : photo@rmn.fr ; site web
Référence de l'image : 96-023092 / INV3825
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