Réflexions sur la judéophobie contemporaine
Antisionisme, propalestinisme et endoctrinement islamiste
Tribune de Pierre-André Taguieff, publiée dans le hors série des Études du CRIF anniversaire des 70 ans du CRIF
Le CRIF a publié un recueil de textes en hommage au 70e anniversaire du CRIF, qui a été offert aux invités lors du 29e Dîner de l’institution. Ce recueil est composé de trente articles rédigés par des intellectuels, écrivains, journalistes, sociologues, philosophes... Nous reproduisons ci-après le 26e article de ce recueil : la tribune de Pierre-André Taguieff, Directeur de Recherches au CNRS.
Aujourd’hui en France comme dans la plupart des démocraties pluralistes, les Juifs ne sont plus, à quelques rares exceptions près, victimes de discrimination à l’emploi, à l’éducation, au logement. Ils ont librement accès aux métiers des médias et de la culture, aux carrières administratives ou libérales, et ne font plus l’objet de discriminations dans l’accès aux postes de responsabilité politique.
Mais, en France tout particulièrement, ils sont victimes de stigmatisations, de menaces et de violences physiques, provenant de nouveaux milieux sociaux, culturels et politiques qui n’ont plus rien à voir avec ceux qui portaient la vieille extrême droite antijuive. Ils sont aussi, parallèlement, victimes d’une diffamation globale permanente, entretenue par une partie du système médiatique, ralliée au point de vue « antisioniste », et relayant des rumeurs négatives à leur propos.
Ce qui les expose à un soupçon permanent, portant sur leur solidarité, perçue comme une complicité criminelle, avec les Israéliens. Aux violences antijuives « d’en bas », attribuables pour l’essentiel à des jeunes issus de l’immigration ou à des islamistes radicaux nés en France, s’ajoute la judéophobie culturelle « d’en haut », produite et reproduite par les représentants d’un milieu politico-intellectuel et médiatique « gauchiste » mécaniquement rallié à la cause palestinienne, qui, de leurs postes de pouvoir ou d’influence, contribuent à un endoctrinement judéophobe de masse(1). Ce gauchisme culturel occupe un espace beaucoup plus vaste que celui du gauchisme politique. Il traverse les frontières entre gauche et extrême gauche, et, sur certains thèmes d’accusation (anti-israélisme, anti-américanisme, anticapitalisme), imprègne certains secteurs de l’opinion droitière. Il peut être plus ou moins sophistiqué, selon qu’il se manifeste dans les milieux associatifs ou dans l’espace universitaire, où il prend les couleurs des modes intellectuelles, empruntant notamment le vocabulaire et les représentations des « études post-coloniales ».
De l’islamisation de la « cause palestinienne » à son érection en « cause universelle »
En France, l’une des principales formes d’intellectualisation des passions antijuives contemporaines consiste à nier l’existence de ces dernières, en avançant la thèse – fausse – selon laquelle le racisme anti-immigrés et l’islamophobie auraient remplacé le vieil antisémitisme. Le présupposé de cette thèse de la substitution, qui revient à déclarer que l’antisémitisme en tant que haine idéologisée des Juifs a définitivement disparu, est que l’israélophobie et l’antisionisme n’ont rien à voir avec l’antisémitisme, et qu’ils ne représentent pas une nouvelle forme de haine des Juifs.
Ces négations sont précisément au cœur de j’ai appelé dès 1989 la « nouvelle judéophobie(2) ». Analysons brièvement la rhétorique de la judéophobie implicite, en partant des poncifs et des clichés à travers lesquels circule la rumeur négatrice selon laquelle « il n’y a pas (ou plus) d’antisémitisme en France ». Elle fait partie du contenu implicitement islamophile du poncif « L’islamophobie d’aujourd’hui est la répétition de l’antisémitisme d’hier ». Pour devenir crédible, ce cliché de propagande doit être relié étroitement au dogme idéologique indéfiniment répété dans les médias : « Les assassins islamistes n’ont rien à voir avec l’islam ». La thèse de la substitution peut dès lors être formulé par ce slogan-type : « Antisémites dans les années 1930, islamophobes dans les années 2000 ». Le même refrain sloganique s’entend sous diverses variantes : « Les musulmans sont les Juifs d’aujourd’hui », « Les antijuifs d’hier se sont convertis à l’islamophobie », ou encore « L’islamophobie a pris la relève de l’antisémitisme ». Le présupposé commun de tous ces poncifs plus ou moins sloganisés est que l’antisémitisme n’existe plus.
Dès lors, ceux qui déclarent vouloir lutter contre l’antisémitisme ou la judéophobie aujourd’hui peuvent être dénoncés comme des imposteurs, coupables d’avoir inventé de toutes pièces une menace désormais inexistante. La thèse de la substitution va de pair avec un déplacement du statut de la victime, à travers une lecture manichéenne du conflit israélo-palestinien. Alors que les Juifs, stigmatisés comme « sionistes » (donc « racistes), sont « nazifiés », les Palestiniens sont victimisés, présentés comme un peuple persécuté par les Juifs « dominateurs ». La figure rhétorique sollicitée est celle de l’inversion des rôles, exprimée par une formule du type « Les victimes d’hier sont les bourreaux d’aujourd’hui ».
D’où l’amalgame polémique : « Les Juifs, hier persécutés par les nazis, sont les nazis d’aujourd’hui, qui persécutent les Palestiniens ». Cette thèse a été soutenue par des personnalités célèbres telles que l’abbé Pierre ou Edgar Morin, avant d’être intégrée dans le discours de propagande antisioniste(3). Cette double thèse est diffusée par des sociologues, des historiens et des politistes engagés à gauche ou à l’extrême gauche, entrepreneurs idéologiques travaillant à « palestiniser » les campus universitaires. Elle est relayée par nombre de journalistes et d’enseignants du primaire et du secondaire, ainsi que par des partis politiques et des syndicats de gauche et d’extrême gauche.
Les thèses « optimistes » annonçant le déclin ou la fin prochaine de l’antisémitisme, assurément réconfortantes aux yeux de certains militants engagés dans le combat idéologique contre Israël, sont toutes fausses, au regard des statistiques disponibles sur les faits antijuifs relevés en France au cours des années 1998-2012.
L’analyse de l’évolution des faits antijuifs (violences et menaces confondues), recensés en France de 1998 à 2012, montre une augmentation brutale de la judéophobie au début des années 2000, avec des « pics » en 2000, 2002, 2004, 2009 et 2012(4). Le plus simple est de considérer l’évolution des totaux annuels des faits antijuifs (actions violentes et menaces) : 1998 : 81, 1999 : 82, 2000 : 744, 2001 : 219, 2002 : 936, 2003 : 601, 2004 : 974, 2005 : 508, 2006 : 571, 2007 : 402, 2008 : 397, 2009 : 815, 2010 : 466, 2011 : 389, et 2012 : 614. L’année 2012 a commencé par une recrudescence des actions violentes contre les Juifs.
Les meurtres antijuifs commis à Toulouse par le jihadiste Mohamed Merah le 19 mars 2012 semblent avoir réactivé les passages à l’acte. Les musulmans de France, à quelques rares exceptions près, ne se sont pas mobilisés pour condamner ces assassinats antijuifs commis au nom de l’Islam : organisée par des musulmans le 28 avril à Paris, quelques jours après la tuerie antijuive de Toulouse, une manifestation pour défendre les « valeurs de tolérance » a réuni à peine deux cents personnes. Or, les violences antijuives ordinaires sont souvent dues à des jeunes issus de l’immigration de culture musulmane. Les personnes physiques sont désormais les premières touchées par les actions antijuives. Le Rapport de la CNCDH pour l’année 2012 retient 177 actions et 437 menaces antisémites, soit au total 614 faits antijuifs. Des chiffres en forte hausse par rapport à 2011 : une progression de 57,8% par rapport à l’année 2011 (389 faits).
On peut faire l’hypothèse que ces passages à l’acte, notamment lorsqu’ils sont occasionnels et non prémédités, sont l’expression de la banalisation d’une culture antijuive dans certains milieux issus de l’immigration de culture musulmane, endoctrinés par des islamistes.
La haine qui vise les Juifs aujourd’hui reste idéologisée, mais elle n’est pas pour autant explicite. Car elle n’apparaît guère dans l’espace public que sous la forme de déclarations virulentes contre Israël et « le sionisme » ou « les sionistes », catégories d’usage polémiques dont les frontières sont indéfiniment extensibles. Depuis la fin des années 1960, la haine des Juifs est en effet portée par ce qu’il est convenu d’appeler l’antisionisme – mieux nommé l’antisionisme radical –, mélange d’hostilité systématique à l’égard d’Israël, quelle que soit la politique du gouvernement en place, et de compassion exclusive pour les Palestiniens, quoi qu’ils puissent faire.
Le propalestinisme inconditionnel est désormais le principal vecteur de la haine des Juifs dans le monde. Il fournit en même temps les principaux motifs d’agir contre l’État d’Israël, réduit à une « entité » criminelle, et contre « le sionisme », figure incarnant l’un des grands mythes répulsifs de notre temps. Il s’agit d’un propalestinisme instrumental, la « cause palestinienne » servant d’alibi à diverses forces qui, soit par intérêt géostratégique, soit en vertu de fortes convictions idéologiques, ont pour objectif la destruction de l’État juif. Le mythe victimaire construit autour du « peuple palestinien » transforme en louables opérations de « résistance » les pires actions terroristes visant des Juifs, en Israël ou ailleurs.
À vrai dire, les propalestiniens sont indifférents aux intérêts véritables de ceux qu’ils prétendent représenter ou défendre. Dans l’état présent des rapports de force géopolitiques, ceux qui veulent la disparition d’Israël déclarent qu’ils aspirent à « la paix », une paix qui, selon eux, serait désirée par les dirigeants palestiniens et refusée par les Israéliens. Tel est le grand mensonge politique destiné à être repris en écho par tous les ennemis d’Israël, et même par ses amis aveugles ou naïfs. Les propalestiniens peuvent ainsi participer à la guerre polymorphe contre Israël en se présentant comme de courageux militants pacifistes, sûrs d’être applaudis par tous ceux qui veulent en finir avec l’État juif, qu’ils rejettent comme l’État en trop(5). L’islamisation croissante de la « cause palestinienne », cause victimaire universalisée par le jeu de propagandes croisées, lui a conféré en outre le statut symbolique d’un front privilégié du jihad mondial. C’est pourquoi la dernière grande vague judéophobe se caractérise par une forte mobilisation du monde musulman contre Israël et le « sionisme mondial », s’accompagnant, chez les prédicateurs islamistes, d’une vision apocalyptique du combat final contre les Juifs. Comme le répète l’article 28 de la Charte du Hamas (août 1988), qui résume en une phrase l’idéologie antijuive du mouvement islamiste : « Israël, parce qu’il est juif et a une population juive, défie l’Islam et les musulmans. »
Le programme antisioniste, ou le rêve d’un israélicide
Le programme « antisioniste », considéré dans ses formulations radicales, a un objectif explicite qui revient à vouloir « purifier » ou « nettoyer » la Palestine de la « présence sioniste » ou « juive », considérée comme une « invasion » qui souille une terre palestinienne ou arabe (pour les nationalistes) ou une terre d’Islam (pour les islamistes). En témoigne le discours que Khaled Mechaal, chef du bureau politique du Hamas, a prononcé le 8 décembre 2012 à Gaza, à l’occasion de la commémoration des 25 ans d’existence du Hamas. L’appel à la destruction d’Israël est formulé comme un appel à la « libération » de « toute la Palestine » : « Libérer la Palestine, TOUTE la Palestine est une obligation, un privilège, un objectif et un but. (...) Le jihad et la “résistance” armée sont le moyen véritable et exact de cette libération et de la restauration de nos droits (…). La Palestine est et a toujours été arabe et islamique. Depuis toujours la Palestine est nôtre, c’est la terre des Arabes et de l’islam(6). »
Une telle vision manichéenne du monde exclut toute possibilité de dialogue et de compromis. Or, les milieux propalestiniens à la française, qui s’emploient à transfigurer la dictature du Hamas à Gaza en môle de résistance contre les « agresseurs » israéliens, font silence sur de tels propos. Le bellicisme islamiste explicitement revendiqué par Mechaal glisse sur leur bonne conscience, qui consiste à ne dénoncer la volonté de guerre qu’en l’attribuant exclusivement aux Israéliens. Leur vision enchantée du « peuple palestinien » leur interdit toute pensée critique : ils restent enfermés dans leur culte palestiniste et leurs dogmes palestinophiles, sourds et aveugles devant la menace islamiste globalisée (du Maghreb à l’Afghanistan et au Pakistan), qui s’accroît notamment aux frontières d’Israël. L’enracinement et l’expansion, dans l’imaginaire du monde musulman, d’un grand récit négatif sur Israël et « le sionisme » constituent l’un des principaux obstacles à l’établissement d’une paix véritable et durable au Proche-Orient. Et l’analyse des réalités géopolitiques ne saurait alimenter un regard optimiste sur l’issue du conflit israélopalestinien, qui prend l’allure d’un méga-conflit « sionisto-islamiste ».
Les récents bouleversements qui ont eu lieu dans certains pays du Maghreb et du Machrek, de la Tunisie à la Syrie en passant par la Libye et l’Égypte, ont abouti partout à la montée en puissance des mouvements islamistes, qu’ils s’agissent des Frères musulmans, de courants salafistes et jihadistes. En conséquence, l’appel au jihad contre les Juifs s’est banalisé, sortant de la relative marginalité où le maintenait son appropriation par Al-Qaida dans les années 1990 et 2000. L’incompétence du gouvernement installé par les Frères musulmans en Égypte a provoqué son renversement. Mais l’on a de bonnes raisons de supposer que, dans l’opinion égyptienne, l’antisionisme radical reste au même niveau qu’auparavant. Pour en avoir une idée, donnons la parole au Frère musulman qui fut élu à la tête de l’État le 30 juin 2012, Mohamed Morsi. Dans un discours diffusé sur Internet le 10 janvier 2010, Morsi déclarait : « Chers frères, nous ne devons pas oublier de nourrir nos enfants et petits-enfants de haine envers ces sionistes et ces Juifs, et tous ceux qui les soutiennent. Ils doivent être nourris de haine. La haine doit perdurer(7). »
Quelques mois plus tard, dans un discours diffusé le 23 septembre 2010 par Al-Quds TV, Morsi exposait sans fard sa vision jihadiste du conflit israélo-palestinien : « Soit [vous acceptez] les sionistes et tout ce qu’ils veulent, soit c’est la guerre. C’est ce que ces occupants de la terre de Palestine connaissent - ces sangsues [suceurs de sang] qui attaquent les Palestiniens, ces fauteurs de trouble, les descendants des singes et des porcs. (…) Nous devons employer toutes les formes de résistance contre eux. (…) Ils ne doivent poser le pied sur aucune terre arabe ou islamique. Ils doivent être chassés de nos pays(8). » Cette vision du combat contre les « sionistes » est partagée par le guide suprême des Frères musulmans, Mohamed Badie, qui appelait le 11 octobre 2012 au jihad pour la libération de Jérusalem : « Le jihad pour recouvrer Al-Qods est un devoir pour tous les musulmans. (…) Les sionistes ne comprennent que la force et ne renonceront à leurs transgressions (…) que par le jihad sacré. » Les principaux chantres du « printemps arabe » se sont tus, sans faire leur autocritique, qui aurait pris l’allure d’un suicide intellectuel. Les milieux propalestiniens ont gardé quant à eux un silence complice, tant ils se réjouissaient de ce que le vent de l’Histoire, semant l’islamisme radical autour d’Israël, leur laissait prévoir l’élimination de l’État juif.
Pour clarifier la terminologie qui ne cesse d’être obscurcie par l’effet des polémiques, il convient de se donner une définition de l’antisionisme radical ou absolu dénuée d’ambiguïté. Il importe en effet de le distinguer clairement des formes démocratiquement légitimes de critique de la politique menée par tel ou tel gouvernement israélien. Abordé dans sa dimension idéologicopolitique, l’antisionisme radical se reconnaît à son argumentation, dont la finalité est de légitimer la destruction d’Israël, en banalisant l’assimilation polémique d’Israël à un « État raciste » ou d’« apartheid », « colonialiste » et « criminel ». Cinq traits permettent de définir le style et le contenu du discours des antisionistes radicaux : 1° le caractère systématique de la critique d’Israël, une critique hyperbolique et permanente faite sur le mode de la dénonciation publique et recourant aux techniques de la propagande (sloganisation, amalgames, etc.) ;2° la pratique du « un poids, deux mesures » face à Israël, c’est-à-dire le recours au « double standard ». Cette pratique systématique de la mauvaise foi, dès qu’il s’agit de l’État juif, conduit à la condamnation unilatérale d’Israël, indépendamment de toute analyse des faits ;
3° la diabolisation de l’État juif, traité comme l’incarnation du mal, impliquant une mise en accusation permanente de la politique israélienne fondée sur trois bases de réduction mythiques : le racisme/nazisme/ apartheid, la criminalité centrée sur le meurtre d’enfants palestiniens (ou musulmans) et le complot juif mondial (dit « sioniste »)(9) ; 4° la délégitimation de l’État juif, la négation de son droit à l’existence – donc la négation du droit du peuple juif à vivre comme tout peuple dans un État-nation souverain –, ce qui implique d’isoler l’État d’Israël sur tous les plans, en organisant notamment contre lui un boycott généralisé ; 5° l’appel répété à la destruction de l’État juif, impliquant la réalisation d’un programme de « désionisation » radicale, ou plus simplement une guerre d’extermination, où l’Iran nucléarisé jouerait le rôle principal. C’est cet appel à l’éradication qui forme le cœur du programme de l’antisionisme radical, qui, mode de stigmatisation et de discrimination conduisant à la diabolisation de l’État d’Israël, relève du racisme. Ce qui caractérise la judéophobie dans l’Histoire, c’est d’abord qu’elle est « la haine la plus longue(10) », ensuite qu’elle n’a cessé de prendre des formes nouvelles, de s’adapter à l’esprit du temps, de trouver de nouveaux alibis, d’inventer des justifications inédites. Le judéocide nazi a été la solution de la « question juive » dont rêvaient les antisémites européens radicaux, l’israélicide est le rêve criminel partagé par les antisionistes radicaux d’aujourd’hui, un rêve mondialisé par les islamistes et leurs compagnons de route. Être un antiraciste conséquent, c’est lutter contre l’antisionisme radical devenu mondial, qui constitue l’une des formes contemporaines de la pensée raciste, incluant un programme d’élimination de l’ennemi diabolisé(11).
La judéophobie du XXIesiècle
Le propalestinisme est assurément le principal vecteur de la nouvelle haine des Juifs à laquelle on donne souvent le nom d’« antisionisme ». Mais il est plus qu’un vecteur. Il marque l’entrée dans un nouveau régime de judéophobie, fondé sur l’attribution exclusive aux Palestiniens des traits d’un peuple messianique dont le salut dépend de la négation d’Israël. Le propalestinisme est ainsi devenu l’un des noms possibles de la nouvelle judéophobie. Peut-être le nom qui lui convient le mieux. Aujourd’hui, on ne peut plus être antijuif sans être propalestinien. Mais c’est la réciproque de cette proposition qui fait frémir : car il faut envisager qu’on ne puisse plus être propalestinien sans être antijuif. Loin de provoquer dégoût et répulsion, la radicalité exerce une séduction sur de nombreux esprits. Et la radicalité se porte vers le propalestinisme. Pour les propalestiniens inconditionnels de toutes origines, « le Juif » est devenu l’ennemi. Grâce au propalestinisme, la judéophobie est à la portée de tous, « sans distinction d’origine, de race ou de religion », comme disait l’article 2 de la Constitution de la Ve République (avant la suppression du mot « race »). Le XXIe siècle commençant a inventé la judéophobie universellement partageable.
Notes :
1. P.-A. Taguieff, La Nouvelle Propagande antijuive, Paris, PUF, 2010.
2. P.-A. Taguieff, « La nouvelle judéophobie. Antisionisme, antiracisme, anti-impérialisme », Les Temps Modernes, n° 520, novembre 1989, pp. 1-80 ; La Nouvelle Judéophobie, Paris, Mille et une nuits/Fayard, 2002.
3. Voir P.-A. Taguieff, La Nouvelle Propagande antijuive, op. cit. , pp. 235, 450-451.
4. Voir P.-A. Taguieff, La Judéophobie des Modernes. Des Lumières au Jihad mondial, Paris, Odile Jacob, 2008, pp. 376 sq. ; CNCDH, La Lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Année 2008, Paris, La Documentation française, 2009 ; ibid., Année 2009, 2010 ;
Année 2010, 2011 ; Année 2011, 2012 ; Année 2012, 2013.
5. Voir P.-A. Taguieff, La Judéophobie des Modernes, op. cit. , pp. 15-80, 353-374, 495-496.
7. Cité in MEMRI TV, Clip, n° 3713.
8. Cité in MEMRI, Dépêche française, n° 389, 6 janvier 2013.
9. P.-A. Taguieff, Court traité de complotologie, Paris, Fayard/Mille et une nuits, 2013, pp. 385-409.
10. Robert S. Wistrich, Antisemitism : The Longest Hatred, Londres, Thames Methuen, 1991.
11P.-A. Taguieff, Israël et la question juive, St-Victor-de-Mor, Les provinciales, 2011.
CRIF
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