Une rue paisible
Pol-serge Kakon
Je n’ai pas écrit grand-chose aujourd’hui , je ne sais même pas quel jour nous sommes en ce début d’avril et je descends de chez moi pour promener Chulo, mon petit chien. Sur le boulevard Saint –Germain,le soleil me fait dire:
« Paris, je t’aime et je t’avril,
découvre-toi de tous les fils
Le ciel s’éblouit d’un grand voyage
Que dessinent des oies sauvages
J’ai envie de partir. Où ? Qu’importe ! Revoir la mer, m’asseoir sur un rocher comme quand j’étais gosse à Mogador. Il y a toujours quelque espérance à contempler le vol d’un oiseau qui se dirige vers la ligne d’horizon. C’est parce que ces jours-ci je pense sans cesse aux enfants tués dans la cour de leur école, à Toulouse, à la fillette agrippée par les cheveux… le revolver du tueur qui lui a explosé la tête sous les yeux de son père.
Chulo m’entraîne vers la Seine, jusqu’au pont de l’Archevêché. Les tabliers du pont sur lesquels s’accoudent les promeneurs sont constitués de fer forgé grillagé dans les mailles desquels des milliers d’amoureux ont cadenassés leur amour pour marquer le passage de leur bonheur à Paris ; retenir le temps . Des milliers de petits cadenas serrés les uns contre les autres, pareils à des poissons pris dans le filet de l’amour, du temps qui passe, de la beauté des choses.
Chulo me fait traverser le pont mais est-ce bien le jour ? Nous passons devant le mémorial de la shoah. Et voilà ! Je repense à la petite fille agrippée par les cheveux. Toulouse et ces enfants assassinés se sont invités en moi, à Paris, alors je les promène et la Seine coule, emportant les regards éperdus des amoureux, des bouts de bois , des vieilles affaires et la beauté d’Ava Gardner comme dans la chanson de Souchon. Plus loin, traversée de l’île Saint Louis. Puis nous entrons, dans une rue paisible, trop, elle a pour nom , l’Allée des justes . Nous retrouvons des gosses pareils à eux sur une plaque noire avec gravée dessus : « Arrêtés par la police de Vichy plus de 11.000 enfants juifs ont été déportés de 1942 à 1944 et assassinés à Auschswitz »
En face, le mur d’un mémorial, des milliers d’hommes et de femmes sont là : des justes, dont les noms serrés les uns au-dessus des autres dans le filet de l’amour de l’humanité et son honneur. Je prie pour que le souvenir des enfants massacrés, le courage de tous ceux dont les noms sont ici gravés, la candeur de ces amours cadenassés au pied de Notre Dame, nous préservent des barbaries à venir. Que Paris que « j’aime et que j’avril », dont le fils d’immigrés qu’était Montaigne écrivait au seizième siècle : « Je ne suis français que par cettegrande cité. ... La gloire de la France et l'un des plus nobles ornements du monde » soit Paris jusqu’à toujours et je me dis qu’il en sera ainsi tant que la France voudra d’elle même.
Pol Serge Kakon
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