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Stéphanie Pouessel : Les identités amazighes au Maroc

 

Les Amazighs représentent près de 50% de la population marocaine.

Dans l’introduction de son livre, Stéphanie Pouessel précise que son objectif sera "de saisir les enjeux d’une revendication qui puise sa légitimité dans "la culture", l’"identité" et la "langue".

"A partir de discours sur une culture particulière, "la culture berbère", nous retracerons l’élaboration politique et historique de cette cristallisation identitaire" et que se définir berbère dans le cadre d’un discours militant "ne peut être considéré comme une résurgence des traditions, mais bien plutôt comme une opposition au nationalisme postcolonial, trait saillant du contexte politique contemporain."

Les Berbères qui représentent 50 % de la population marocaine se répartissent entre trois grandes régions : le Rif, le Moyen-Atlas et au Sud, la région du Souss. Elles sont régiesrespectivement par trois groupes : le tarifit, le tamazight et le tasoussit ou tachelhit. Initiée par des intellectuels berbérophones de naissance, la revendication berbériste se diffuse maintenant dans toutes les couches de la société marocaine. Percevant le "nationalisme arabe" comme un colonialisme postcolonial, ils critiquent la nature même du pouvoir et de la Constitution de 1996 qui dans son Préambule annonce que "Le royaume du Maroc, État musulman souverain, dont la langue officielle est l’arabe, constitue une partie du Grand Maghreb arabe." Pour expliquer comment s’est progressivement mise en place l’idée de la nation marocaine "une et indivisible", arabe et érigeant la langue arabe comme "support identitaire", Stéphanie. Pouessel considère qu’il s’agit d’une réaction contre la colonisation : "Dans les villes traditionnelles comme Fès, la résistance à la pénétration étrangère, au nom des valeurs arabo-islamiques, se mue en une revendication nationaliste. (2) S’alignant sur tous les préceptes du nationalisme arabe, la nation marocaine se voit ainsi ancrée dans l’arabité. Le nationalisme marocain concrétise l’unité de la nation arabe dans la personne du roi qui représente les fondements sacrés de la nation marocaine. L’arabisme et le salafisme sont alors réappropriés et ancrés dans le patrimoine national (3)." (p.29)

Pour désacraliser la "culture élitiste représentée par l’arabe classique, langue du pouvoir", les Berbères ont promu la langue maternelle, darija, qui sensibilise la jeunesse marocaine. La lutte contre cette "culture" s’est manifestée aussi par : la revalorisation des populations noires marocaines (la "gnaoua’ttitude") ; la référence au mouvement kabyle qui possède "une véritable histoire de contestation politique et religieuse ; le tifmagh comme un désinvestissement de l’alphabet arabe ; une réappropriation critique de la "bibliothèque coloniale" ; le judaïsme devenu une composante positive de l’identité marocaine : "La place octroyée à la judéité dans le Maghreb contemporain est celle d’une mémoire qui se révèle à mesure que les communautés juives disparaissent. Plus la présence juive, au sens de réalité de population, s’amenuise, plus la judéité du Maroc s’impose sur le devant de la scène, dans les discours sociaux et la recherche académique (4) ; paradoxe de l’exaltation d’une culture à mesure de sa disparition factuelle." (p.95)

De la culture à l’engagement politique

Le contenu de la revendication amazighe marocaine précisé, Stéphanie Pouessel étudie la sociologie des militants et celle du mouvement associatif berbère qui lutte pour un État démocratique et laïc au sein duquel les Marocains seraient égaux devant la loi. Le roi Mohamed VI s’est résolu à déclarer dans son discours du Trône de 2001 que le Maroc a puisé sa culture millénaire dans l’amazigh, mais il a ignoré "la dimension politique portée par le mouvement berbère : celle de la remise en cause de la Constitution marocaine, de la reconnaissance de la langue berbère dans la Constitution - donc de la détrônisation de la langue arabe - celle de la laïcité, de la démocratie ; autant de thèmes susceptibles de faire vaciller les fondements de la royauté chérifienne" (p. 131).

Tamazgha : le combat du Congrès mondial amazigh

Le projet politique de laïcité de l’État s’accompagne d’un rejet de "l’orthodoxie musulmane et des courants islamistes qui imposent le côté législatif de la religion". Pour des raisons liées à son histoire millénaire, le peuple marocain possède une identité collective qui n’exclut pas les mouvements d’autonomie régionale qui s’effectuent à l’intérieur de ce cadre, en particulier dans le Rif et le Grand Souss. Allant plus loin, le journal Le Monde Amazigh développe et diffuse autour de Rachid Raha, un projet qui "propose une gestion autonome de neuf régions suivant la langue, l’économie et l’histoire." S’inspirant des modèles allemand, suisse et espagnol, Rachid Raha n’appelle pas au séparatisme, mais à l’autonomie.

Le Mouvement d’autonomie de la Kabylie (MAK) de Ferhat Mehenni (5) qui se dit kabyle avant d’être amazigh s’inscrit complètement dans ce mouvement fédéraliste qui englobe l’ensemble des composantes berbères nationales et des différentes diasporas dans un projet transnational porté par le Congrès mondial amazigh (CMA). Fondé à Saint Rome de Dolan dans le Sud de la France en 1995, le CMA a été dirigé par Mabrouk Ferkal, par Rachid Raha au IIe congrès de Lyon puis par Lounès Belkacem au Ille congrès tenu dans la banlieue lilloise en 2002. Au IVe congrès de 2005, tenu à Nador, il devait déclarer : "Nous revendiquons simplement le droit d’exister avec tous nos droits individuels et collectifs en tant que peuple. Notre pays est Tamazgha ; notre histoire millénaire ; notre culture a valeur universelle ; notre projet est démocratique et laïque, pacifique pour notre peuple. Notre espace régional n’est pas le Moyen-Orient, mais la Méditerranée occidentale."

Au final, la conclusion de Stéphanie Pouessel est optimiste, car bien que des mésententes transnationales et nationales entachant l’idée d’une unité berbère se soient manifestées autour du lieu de la tenue du Ve Congrès Mondial amazigh, tenu malgré tout à Meknès, elle estime que la conception d’une "nation amazighe" transnationale et autochtone s’est affirmée. Dans ce livre bien construit qui s’appuie sur une documentation considérable, S. Pouessel a bien montré la mutation du mouvement culturel, premier en un mouvement politique fondé sur la laïcité, la démocratie, le rejet de l’islamisme institutionnalisé et du "colonialisme arabe postcolonial". La marche des peuples berbères d’Afrique du Nord qui s’est longtemps manifestée de façon discontinue a fini par s’unifier dans le Congrès mondial amazigh qui préconise la formation de Tamazgha et d’un Occident méditerranéen. Le tsunami qui a ébranlé les pays arabes s’est traduit en Libye par la formation d’un Comité national amazigh, première pierre de la fondation de Tamazgha. La seconde pierre a été posée par le Gouvernement provisoire de la Kabylie (GPK) qui a organisé le Yennayer dans une salle de l’Assemblée nationale, ce qui le consacre comme un interlocuteur valable de la France, de l’Europe et de l’ONU. La marche sera difficile, car tout sera fait pour que les chefs d’État s’appuient sur les forces islamistes (6) pour contrarier le projet berbère, et cela particulièrement de la part de l’État algérien (7) qui s’emploie à mener une guerre multiforme des deux côtés de la Méditerranée, contre les organisations amazighes et en particulier contre les Kabyles et ceux qui les soutiennent, parce qu’ils sont en train de renouer les fils avec l’Étoile Nord-Africaine, dont les militants et l’encadrement étaient majoritairement des Kabyles et que son programme correspond dans un contexte nouveau à celui du Congrès mondial amazigh. N'est-il pas le temps pour tous les hommes épris de liberté, de justice et de fraternité de soutenir de façon concrète le combat des Amazighes dans tous les pays de l'Afrique du Nord ?

Jacques Simon

Notes

Stéphanie Pouessel, docteure en anthropologie, diplômée de l'EHESS, est aujourd'hui chercheuse à l'institut de Recherche sur le Maghreb contemporain de Tunis.

1. Dans Les origines sociales et culturelles du nationalisme marocain (1830-1912, Ed. Maspero, 1980, Abdallah Laroui avait montré que dans la lutte contre les impérialistes, "nous ne trouvons pas devant un nationalisme islamique".

2. Gilles Lafuente. La politique berbère de la France et le nationalisme marocain, L’Harmattan, 1999.

3. Charles-André Julien. Le Maroc face aux impérialismes, 1415-1956, Ed. Jeune Afrique, 1978 (Ch.IV. La genèse du nationalisme.) ; Robert Rézette, Les partis politiques marocains, A. Colin, 1955 ; Claude Palazzoli. Le Maroc politique, Sindbad, 1974 (une somme) et l’indispensable Allal el Fassi ou l’histoire de l’Istiqlal d’Attilio Gaudio, Ed.Alain Moreau, 1972.

4. Deux livres de référence. Haïm Zafrani. Juifs d’Andalousie et du Maghreb, Maisonneuve § Larose, 2002 ; Paul B.Fenton § David G. Littman. L’exil au Maghreb. La condition juive sous l’islam, 1148-1912, Paris/Sorbonne, 2010, (792 p).

5. Ferhat Mehenni. Algérie : la question kabyle, Michalon, 2004 ; Le siècle identitaire. La fin des États postcoloniaux, Michalon 2010.

6. Nicolas Beau § Catherine Graciet. Quand le Maroc sera islamiste, La Découverte, 2006.

7. Mohamed Sifaoui. Histoire secrète de l’Algérie indépendante, Nouveau Monde, 2012 (Analyse minutieuse du passage des services secrets (MALG) de 1956-1962 à la Sécurité militaire sous Boumediene (1962-1978) et sous Chadli (1979-1988), à la parenthèse (DGDS/DGPS) et l’"ouverture démocratique" (1987-1990) puis par le DRS tout puissant (l’État-DRS) depuis 1990.

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