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La guerre n’est pas un principe, la guerre, c’est la guerre(info # 010409/13) [Analyse]

Par Jean Tsadik ©Metula News Agency

 

Le Congrès américain va débattre, à partir de ce lundi, de l’opportunité d’autoriser le Président Obama à réaliser des frappes contre la Syrie. Or le cadre de ces discussions dérange beaucoup les experts militaires, tant aux Etats-Unis qu’en Israël, en France et dans bien des pays du Moyen-Orient. Ce, car le projet d’opération armée contre le régime de Béchar al Assad est totalement flou, pour ne pas dire inconsistant ; ce qui fait que les représentants et les sénateurs US vont parler dans le vague, ou plutôt, ils vont deviser d’un principe forcément abstrait. Or la guerre n’est pas un principe, la guerre, c’est la guerre. Avec ses règles et ses dynamiques, que personne ne peut réinventer selon ses désirs ou ses besoins politiques ; ceux qui ont essayé de le faire se sont tous égarés, générant plus de dommages que d’avantages.

 

Ce qui nous ennuie le plus est la définition de l’opération que le pensionnaire de la Maison Blanche a dévoilée publiquement, sa liste des "pas" : l’action ne sera pas illimitée dans le temps et dans les objectifs qu’elle visera ; elle n’inclura pas d’intervention au sol ; elle ne modifiera pas les équilibres de la guerre civile et ne cherchera pas à renverser Assad de son trône.

 

La première observation que cette déclaration nous inspire est : même si ces contingences définissent effectivement le cadre des frappes envisagées par l’Administration, quelle raison y avait-il de le rendre public ? Même si, dans les faits, les Américains entendent agir à l’intérieur de ces paramètres, pourquoi donc le faire savoir à l’ennemi ?

 

Car c’est Béchar et son clan qui matérialisent l’ennemi. Dans une guerre il y a toujours un ennemi, on ne s’attaque pas à des cônes en plastique ni à des cubes en bois, mais à un adversaire de chair et d’os. Et celui-ci est doté d’une force armée, de services de renseignement et de conseillers qui, en permanence, adaptent leurs tactiques aux aléas auxquels le régime va être confronté.

 

Or dans ces conditions, force est de constater que, soit Barack Obama ment, et il va s’employer à détruire des objectifs supplémentaires (ce qui le rendrait parjure à l’égard du projet qu’il va soumettre aux chambres), soit il a communiqué à ses ennemis tous les paramètres qui leur sont nécessaires afin de se préparer le mieux possible à faire face – avec les moyens dont ils disposent – à la frappe dont il les menace.

 

En agissant ainsi, l’homme le plus puissant de la planète a renoncé à deux des paramètres essentiels qui sont précieux à tout instigateur d’un conflit armé : la surprise et l’ignorance par l’adversaire des intentions de l’agresseur.

 

Pour rester clairs, disons que le Président Assad va pouvoir alléger les dispositifs de protection de ses bâtiments officiels, de ses résidences, de ses postes de commandements, de ses unités blindées, de ses bases aériennes, etc.

 

Il va pouvoir concentrer ses défenses autour de ses infrastructures ne figurant pas sur la liste des "pas", comme ses réserves de produits toxiques et ses missiles balistiques, par exemple. Il a d’ailleurs déjà commencé à les dissimuler et à les répartir dans la nature afin de compliquer la tâche des soldats de l’Oncle Sam.

 

Libéré de ses craintes et de l’inconnu, Assad peut aussi se concentrer sur ses capacités offensives et s’atteler à définir des objectifs de ripostes. Contre les navires et les positions des assaillants, par ses supplétifs du Hezbollah, et contre les alliés traditionnels de l’Occident, à savoir Israël, les sunnites et les chrétiens libanais, les Jordaniens, etc.

 

Il y a grand danger à aviser d’office, en préalable à une attaque, que l’on va laisser intacte la capacité offensive de l’ennemi. Ce faisant, on le place dans une position de légitime défense tout en lui laissant les moyens militaires de l’exercer.

 

Et pour qui connaît la fébrilité de Béchar al Assad et sa propension à agir à l’emporte-pièce, sous l’effet de la panique, on est en droit de craindre la ligne de conduite adoptée par Washington. A la suite du bombardement de la Ghouta à l’arme chimique, même ses alliés du Hezb libanais – leurs conversations ont été captées par les services occidentaux – ont estimé que l’Alaouite avait surestimé les dangers représentés par l’avancée des rebelles vers cette partie de Damas et qu’il avait surréagi, sans considérer les retombées que cela entraînerait.

 

En bref, pour Assad, le bombardement chimique de la Ghouta a apporté largement plus de désagréments que de bénéfices. Tout comme l’élimination de l’ex-premier ministre libanais Rafic Hariri en 2005. Et c’est cette disposition du dictateur damascène à surréagir qui inquiète à juste titre les Israéliens. Et qui justifie les préparatifs extraordinaires qu’ils déploient, tant à titre défensif qu’offensif.

 

A Jérusalem il est bien clair qu’en cas de représailles alaouites contre l’Etat hébreu, celui-ci infligera probablement un coup décisif au régime du dictateur-oculiste, mais ici, l’on se soucie plus des centaines de victimes qu’il pourrait induire que d’une victoire militaire contre son régime.

 

D’autant plus que si Israël avait voulu l’éliminer, il l’aurait fait depuis longtemps, n’ayant pas besoin des Yankees pour y parvenir. Le problème stratégique étant, qu’en faisant tomber Assad, on placerait presque infailliblement des islamistes à la tête de la Syrie. Et cela serait pire que le mal actuel selon toutes les évaluations. 

 

Or la confusion d’Obama pourrait contraindre Netanyahu à réaliser un acte de politique-stratégie qu’il ne désire pas. Le gouvernement israélien est condamné au suivisme : il est entièrement dépendant de ce qui se décide à Washington et de la réaction des Syriens. Il est autant privé par la démarche présidentielle de tout effet de surprise que les militaires US. Et cela irrite au plus haut point les stratèges de Tsahal, chez qui l’élément de surprise fait partie intégrante du dogme opérationnel ; comme cela devrait être le cas dans toutes les armées du monde.  

 

En matière stratégique, chaque élément compte, il n’existe pas d’évènement insignifiant. Je pense en écrivant cela à la décision d’Obama de soumettre le choix de l’attaque au Congrès ; cela a procuré dix jours supplémentaires à la coalition Iran-Syrie-Hezbollah pour peaufiner son devoir. Aussi remarque-t-on depuis, sur le terrain, un nouveau déploiement en conséquence des meilleurs combattants de la milice chiite, pour les protéger de frappes éventuelles et les rendre rapidement disponibles pour une riposte. Or il était inutile d’offrir à l’ennemi ce bonus-temps, qui risque de coûter cher en pertes humaines et matérielles.

 

Toujours à propos de la théorie des "pas", disons carrément qu’elle ne tient pas debout. Simplement en détruisant une Jeep ou un avion d’Assad, l’on modifie le rapport des forces entre l’Armée régulière et l’insurrection, lors, on ne peut guère combattre sans infliger ce genre de dommages à son adversaire.

 

Dans la même veine, il n’existe aucune raison à ma connaissance de se priver de l’intervention de troupes au sol, particulièrement de commandos. Annoncer au Congrès et au public un engagement de ce genre équivaut à se couper la main gauche sans que quiconque ne vous l’ait demandé. Car certains objectifs ne peuvent être atteints par les seuls missiles et l’aviation : renoncer par principe à recourir aux commandos, c’est admettre que certaine cibles de l’opération ne seront pas détruites et cela n’a aucun sens.

 

Il faut d’ailleurs s’empresser d’éliminer d’autres mythes du discours obamien avant la discussion aux chambres : comme l’idée de concentrer le feu uniquement sur les stocks d’armes de destruction massive. Car celles-ci n’interviennent que de manière insignifiante dans l’actuelle guerre civile, et la destruction par les Occidentaux d’une partie d’entre elles ne pénaliserait absolument pas le dictateur et ses troupes au combat. Ce serait un véritable coup dans l’eau. Du genre de ceux qui fortifient l’apparence de moralité des démocraties, tout en plongeant leurs alliés proches du théâtre des opérations dans un embarras pire qu’avant la frappe.

 

On doit également répéter ce qu’avait écrit Juffa bien avant tous les autres commentateurs : on ne fait pas de guerre pour "punir" un chef d’Etat. Cette définition est celle d’une finalité inaccessible car elle ne correspond à aucun objectif définissable par les militaires. De plus, en conduisant des opérations intraduisibles sur le plan tactique, on risque fort de faire payer à des innocents le prix de ces effets de manche. Et si causer la mort d’innocents, victimes collatérales d’un conflit visant à améliorer notablement leur condition, peut à la limite se concevoir, tuer des innocents pour venger la mort d’autres innocents n’a aucun sens. Autant que tuer des innocents pour châtier un tyran qui a transgressé des normes internationales que tout le monde enfreint.

 

Il faut d’ailleurs enterrer ce concept de guerres morales. Car personne, les Etats-Unis pas plus que qui que ce soit d’autre, ne peut s’exhiber comme le garant de la moralité du monde. D’abord, parce que l’Amérique n’agit pas toujours de façon morale, loin s’en faut, ensuite, parce que si elle était le garant de la moralité mondiale, il lui faudrait – par ordre de priorité - commencer par libérer les populations opprimées d’Iran, de Corée du Nord et du Tibet, pour ne prendre que des exemples compréhensibles par tous. L’exercice de la moralité internationale, c’est tout autre chose que lancer quelques Tomahawks sur des sites sans importance appartenant à un tyran qui a fait assassiner 1 400 personnes. Il faudrait tomber les masques si l’on ne veut pas couvrir la plus ancienne démocratie du monde de ridicule.

 

Essayons de rester consistants : on peut faire la guerre soit pour affaiblir son adversaire, soit pour l’éliminer. On agira ainsi pour se saisir de son territoire, ou pour le remplacer par un opposant, soit encore, afin de l’obliger à accepter une solution politique qu’il rejette.

 

Dans le cas de Béchar, le contrôle de la Syrie n’intéresse personne, son remplacement aux affaires recèle le risque d’y placer des extrémistes musulmans qui sont pires que le mal, et l’on ne possède aucune solution politique à la guerre civile que l’on pourrait imposer au despote alaouite.

 

Dans ces conditions, la prudence dicte de s’abstenir d’une action militaire purement symbolique, dont les conséquences apparaissent plus menaçantes que la situation actuelle. Ce, à moins de s’investir beaucoup plus durablement dans le dossier syrien, comme en ménageant des zones protégées pour la rébellion non-islamiste ; en interdisant le survol de certaines zones par l’aviation alaouite, en frappant les blindés d’Assad et son artillerie lorsqu’ils s’opposent à la partie de l’insurrection qui convient à l’Occident.

 

Il importe aussi de s’investir pour former et renforcer les combattants de cette aile démocratique de la résistance. Israël s’y emploie de manière relativement efficace, les Etats-Unis également, qui forment des hommes et qui les arment à partir de la Jordanie. Mais ces efforts sont encore bien trop maigres, et trop ponctuels pour faire vaciller la dictature. Pour y parvenir, une décision politique est absolument requise, et c’est à ce niveau que le bât blesse.

 

Quant à une solution politique, même si elle n’est pas très populaire à l’Ouest, la seule qui me paraît praticable est celle de la partition de la Syrie entre les communautés qui la composent. En cantonnant les Alaouites dans la province de Lattaquié où ils sont déjà majoritaires, en décernant l’Est aux Kurdes, en rendant les grandes villes sunnites à leurs propriétaires, leur montagne aux Druzes, des régions aux chrétiens et aux autres minorités. Et l’on pourrait organiser ces nouveaux Etats dans une fédération pour leur permettre de tenir le coup économiquement et les distraire de préparer un nouveaux conflit.

 

Faute de réalisme, l’actuelle guerre civile durera cent ans, et une opération militaire US privée d’objectifs stratégiques ne ferait qu’aggraver les choses. Sans compter que cette guerre est déjà en train de dégénérer en conflit régional, un processus qui me semble inévitable en regard de l’impasse entre Jérusalem et Téhéran. Dans une recherche d’efficacité, si cela ne tenait qu’à moi, je suggérerais au Congrès de modifier l’ordre du jour de sa session de lundi. Il deviendrait : faut-il attaquer l’infrastructure nucléaire iranienne. Parce que sur ce dossier-là, contrairement à ce qui se déroule en Syrie, les objectifs sont clairs, les intérêts, vitaux, et la menace sécuritaire sur la sécurité nationale des USA, de l’Europe et d’Israël, on ne peut plus précise.    

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