Kamal Hachkar : "Notre identité plurielle reste un tabou"
Arabes, Berbères, Juifs... À travers son film, cet historien et documentariste franco-marocain a voulu réaliser une "ode au vivre-ensemble".
Il est né à Tinghir, au Maroc, et a grandi en France. Il se dit "d'origine berbère et de culture musulmane". Il a étudié l'histoire à la Sorbonne (Paris). Kamal Hachkar, 36 ans, est l'auteur d'un documentaire, Tinghir-Jérusalem, les échos du mellah, sorti le 9 octobre dans les salles parisiennes et qui a fait florès en Israël, en Europe et au Maroc... mais a aussi provoqué de vives réactions.
JEUNE AFRIQUE : Comment est né ce projet ?
KAMAL HACHKAR : À la base, j'avais entamé un travail universitaire sur la communauté juive berbère de Tinghir. Mais le déclic a eu lieu en 2007. En tant que membre de l'association Parler en paix, qui oeuvre au rapprochement entre les communautés, j'ai participé à un voyage en Israël et en Palestine. Dans le village druze de Peki'in, j'ai rencontré une personne originaire de Tinghir. C'était mon rêve absolu que de retrouver en Israël un juif de ma ville. Un hasard ou le destin...
Votre vision des juifs et des musulmans au Maghreb a-t-elle évolué au fil de votre travail ?
Je me suis très tôt intéressé à la question juive à travers la Shoah, qui est au programme scolaire en France. J'y ai été très sensible en tant que Franco-Marocain ayant grandi dans la France profonde où j'étais le seul Arabe, même si je n'ai pas connu de discrimination. Puis, à travers la philosophie, de Freud à Marx, j'ai découvert que ces grands esprits d'origine juive avaient produit une pensée universelle. Alors que je me posais tout un tas de questions identitaires, l'universalité m'a très vite saisi.
Avez-vous été surpris par les réactions suscitées par votre film ?
C'était la première fois au Maroc qu'on voyait en prime time sur la chaîne nationale des juifs marocains en Israël parler en berbère et en arabe. Les réactions ont été très bonnes au Maroc, hormis quelques extrémistes qui ont taxé le film de "sionisme". Une certaine presse islamiste m'a qualifié de "traître"... Sans le vouloir, le film traite de deux tabous au Maroc : la question juive et la question amazigh, et j'ai découvert par la suite les débats que cela a suscités au sein de la société. Ce documentaire est à contre-courant, car il traite de l'identité plurielle. C'est une ode au vivre-ensemble.
Qu'en est-il du lien entre la question des juifs en Afrique du Nord et le conflit israélo-palestinien ?
Ce n'est pas parce qu'on se rend en Israël qu'on cautionne la politique de l'État hébreu. Il y a des hommes, des histoires, une terre. La plus belle projection du documentaire s'est déroulée à Jérusalem. J'avais réuni des amis palestiniens et israéliens. À un moment du film, il y a une Arabe israélienne originaire du Maroc qui dit : "La terre est à tout le monde." Elle résume tout. Ce que nous pouvons faire, c'est oeuvrer au rapprochement entre ces deux communautés qui ont vécu tant d'années en paix et en harmonie, aux antipodes des actions des extrémistes juifs et musulmans.
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Propos recueillis par Joan Tilouine
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