LE RÉVEIL DE LA MÉMOIRE JUIVE
« Ana maghribi ou hadi ardi ou ard jdoudi ! ». « Je suis marocain et ici c’est ma terre et la terre de mes aïeux ! ». Artistes célèbres, cinéastes de renom, politiques ou intellectuels illustres, étudiants ou mères de famille ordinaires, ils revendiquent leur marocanité avec une fierté touchante. Ils ont 20, 30, 50 ou 80 ans, juifs de confession, de toutes les nationalités confondues, et leur attachement viscéral au Maroc, à nul autre pareil, émeut autant qu’il interpelle. Marocains de naissance ou d’ascendance, malgré un exil datant pour certains de plus d’un demi-siècle, et l’intégration réussie dans leurs nouveaux pays respectifs, ils ont gardé toutes les choses éloquentes et indicibles qui font la beauté, la richesse et la force singulières de la culture marocaine.
Article de Mouna IZDDINE
Paru dans A LA UNE - du 14 au 20 NOVEMBRE 2014 - L’OBSERVATEUR.
Dans la cuisine haute en épices et les caftans hauts en couleurs légués par leur grandmère, dans les sayed andalouses ou les chansons en judéo-amazigh enseignées par leur grand-père, dans les expressions judéo-arabes bourrées d’autodérision et de sagesse entendues chez leur grande tante, dans leurs pièces de théâtre en darija ancienne sans cesse revisitées, jamais dénaturées. Sur les réseaux sociaux, depuis Paris, Londres, New-York, Montréal ou Jérusalem, jeunes et moins suivent et commentent avec assiduité l’actualité marocaine. Ils reviennent pendant les vacances scolaires et les fêtes religieuses, partent en pèlerinage sur les tombeaux de leurs 650 saints aux quatre coins du Royaume, brandissent et embrassent l’emblème national à chaque fois que l’occasion leur est donnée d’évoquer avec nostalgie ce Maroc de leurs racines si cher à leur cœur. La Nostalgie, parlons-en... Fait inattendu, 50 ans après le grand exode de 1967, alors qu’il ne reste plus que 3000 Marocains juifs résidant encore au pays, contre 300.000 au milieu du siècle dernier, c’est un incroyable retour de mémoire qui s’opère aujourd’hui auprès des Marocains de confession musulmane. Qu’ils aient côtoyé des Juifs ou qu’ils en aient juste entendu parler à travers leurs parents ou grands-parents, ils ont décidé, chacun à son échelle, de ressusciter ce Maroc multiconfessionnel d’antan que l’on pensait enfoui à jamais dans les bribes de souvenirs des anciens. Il va sans dire que l’intégration de l’affluent hébraïque comme composant séculaire de l’identité nationale dans le préambule de la nouvelle Constitution de juillet 2011 a donné un bel élan à ce réveil mémoriel. Pareillement, le message du Souverain appelant à la réhabilitation des lieux de culte et de vie juifs à l’occasion de la rénovation en février 2013 de la synagogue « Slat Al Fassiyine » à Fès a été entendu.
À ce jour en effet, ce ne sont pas moins de 10 synagogues qui ont été restaurées à travers le pays, en plus des 167 cimetières israélites réhabilités dans 38 provinces du Royaume, vestiges indélébiles d’une présence juive millénaire en terre chérifienne.
La Terre, parlons-en…On n’efface pas 3000 ans d’existence et de coexistence, même en 70 ans d’exils et de guerres. Mais le temps passe, érode les pierres et emporte les hommes dans son sillage. Et les conflits lointains s’importent, font naître les amalgames dans les esprits des hommes et les divisions dans les coeurs des amis et des voisins d’hier. Demain, quand les derniers Juifs du Maroc et les Musulmans marocains qui les ont connus seront partis, que restera-t-il de ces trois millénaires de vie juive et de vivre-ensemble? À qui revient la tâche de cette transmission de l’Histoire ? Que léguerons-nous aux nouvelles générations comme modèle de symbiose culturelle et de dialogue des religions célestes ? C’est ce combat contre l’amnésie et pour la paix que sont en train de mener une poignée d’hommes et de femmes, juifs et musulmans main dans la main, pour le renouveau des valeurs fondatrices de notre civilisation marocaine.
Voici leur histoire…
REVOIR MOGADOR ET MOURIR…
Le combat des Juifs souiris contre l’amnésie
LES DERNIERS JUIFS ONT QUITTÉ MOGADOR AU MILIEU DES ANNÉES 60, LAISSANT DERRIÈRE EUX 300 ANS D’HISTOIRE ET DE VIVRE ENSEMBLE DANS UNE VILLE QU’ILS ONT GRANDEMENT CONTRIBUÉ À CONSTRUIRE ET FAIRE PROSPÉRER. 50 ANS APRÈS LEUR DÉPART, CERTAINS REVIENNENT SUR LES TRACES DE LEUR ENFANCE, ET TENTENT DE RESSUSCITER, AUX CÔTÉS DE LEURS AMIS MUSULMANS SOUIRIS, LA MÉMOIRE JUIVE DE MOGADOR MAIS AUSSI LA « CONVIVENCIA » À L’ANDALOUSE QUI FAIT LE CACHET UNIQUE DE LA CITÉ DES ALIZÉS. PARMI EUX, HAÏM BITTON, RENTRÉ DE SAN DIEGO POUR RÉHABILITER L’UNE DES PLUS VIEILLES SYNAGOGUES DU MELLAH, DANS UNE VILLE QUI EN COMPTAIT 48 AU MILIEU DU SIÈCLE DERNIER. RENCONTRE AUX PIEDS DES REMPARTS AVEC UN ÉTERNEL ENFANT DE MOGADOR QUI DE SA NOSTALGIE A FAIT UN ÉMOUVANT COMBAT CONTRE L’OUBLI.
Mellah Lqdim, Mogador. Une nuit de décembre 1957. Il est 5 heures du matin. On tambourine à la porte de la famille Bitton. Haïm, 11 ans, a déjà les yeux grands ouverts sous son drap chaud. Il a reconnu le bruit de la canne d’Eliahou, le vieil aveugle du quartier chargé de rappeler aux habitants l’heure de la prière. Le petit garçon a toujours sommeil, mais l’excitation est plus forte. Dans quelques minutes, il retrouvera ses copains à la synagogue pour les selihot, les chants du mois d’Eloul précédent Yom Kippour.
La ferveur religieuse, ciment communautaire
Comme à l’accoutumée, sa mère lui a préparé sa tenue avec soin. Le petit garçon pose sa kippa sur la tête et court vite rejoindre son père qui l’attend devant la porte. « Eliahou laâma » a réveillé tous les mômes du quartier. L’alizé glacial rosit les joues et bleuit les mains des petits fidèles. Haïm tient chaudement la main de son père. Quelques foulées les séparent de la synagogue communautaire de Slat Lkahal, sise 119 rue Moïse. Les y voilà enfin. Haïm cherche fébrilement des yeux ses camarades. Ils sont venus, ils sont tous là, et dans leurs mélodies, ils supplient Hachem le Tout-puissant de pardonner leurs fautes et celles de tous les pécheurs...
Les chants lithurgiques, trait d’union social
Printemps 1958. Un soir de shabbat. Haïm, vêtu de son plus beau costume et de sa cravate la plus élégante, attend avec impatience les Bakachot. Il est 3 heures du matin. Chaque grande famille a sa place dédiée à Slat Lkahal. Les Corcos, les Knafo, les Azoulay, les Afriat, les Azencot, les Lévy, les Outmezguine et tous les autres. Les jeunes et les moins jeunes, les riches et les moins nantis, les grands notables, les puissants négociants et les modestes artisans, les érudits et les moins lettrés, tous réunis dans le même amour des poèmes lithurgiques.
Les chants en hébreu accompagnés de musique andalouse remplissent la salle de prière, montent à la galerie des âmes surplombant la Teba. Le timbre chaud et ascendant des paytanim dirigés par le cheikh Chemtov Knafo parvient jusque dans la rue Moïse. L’aube se lève, irisant la cité bleue et blanche de ses couleurs mordorées, tandis que les cris des mouettes et des cormorans au-dessus du port annoncent l’arrivée du jour. La voix du rabbin Salomon Knafo entamant la chaharit se mêle à celle du muezzin annonçant la prière d’Al fajr dans un arabe mâtiné d’accent soussi, et tous deux, dans une symphonie singulière, répondent en écho au ressac des vagues s’écrasant contre les remparts de la Sqala.
Sur les ruines de la grande histoire
Essaouira, décembre 1991. Un homme de taille moyenne aux cheveux grisonnants avance à petits pas dans le vieux mellah. Mutique et songeur, il s’arrête de temps à autre devant la porte d’une maison désaffectée ou le seuil d’un commerce abandonné. Quand il reconnait la synagogue en ruine de son enfance à l’ex-rue Moïse (devenue depuis rue du mellah), son regard se voile. Alors qu’il s’apprête à poser une main tremblante d’émotion sur ce qui reste de la porte en bois, un très vieux monsieur vient à sa rencontre : « Tu es Haïm, le fils d’Albert et de Simha, je t’ai reconnu. Je suis Mbark Bahraoui, le voisin de ta grand-mère qu’Allah ait son âme. Te souviens-tu de moi ? Comment vas-tu mon fils, où étais-tu tout ce temps-là ? ». Haïm sert Mbark dans ses bras. Leurs yeux et leurs teints possèdent la même couleur de l’argan millénaire de Haha et leurs larmes ont le même goût aigre-doux, celui de la nostalgie du temps perdu...
L’œuvre du temps, lente et ravageuse
Lorsque Haïm Bitton la revisite en 2008, soit 36 ans après sa fermeture faute de minian, Slat Lkahal, occupée par des squatteurs, tombe en ruine. La porte principale est éventrée et bloquée par un pan de muraille, la charpente de la toiture principale est détériorée, la salle de prière croule sous des tonnes de gravats tombés du toit. L’imposant Ekhal, magnifique cadeau de la communauté juive de Livourne (Toscane, Italie) du temps de Napoléon III, a été vandalisé et pillé, et la Teba et les Kas volatilisés, subtilisés par des voleurs entrés par la verrière donnant sur le toit. Dans la tribune des femmes (dite Ezrat Nashim), à l’étage, le garde-corps a disparu et tout un pan du mur du couloir s’est effondré. Quant à la façade extérieure, celle-ci est dans un état de dégradation alarmant, ravagée par le temps et les pluies.
Les enfants de Mogador répondent à l’appel
Aussitôt après la constatation des dégâts, Haïm crée l’Association Slat Lkahal Mogador et lui dédie un site internet (http://www.asl-mogador.net/). « L’accueil des autorités locales et de la population a été très positif et très encourageant. Les habitants du mellah me disent “ Allah iâwnek ” à chaque fois qu’ils me croisaient, ils étaient touchés de voir la “ msala dial lihoud ” reprendre vie alors qu’ils la pensaient ensevelie à jamais ». Haïm lance alors un appel à la générosité des natifs et amis de Mogador. Les fonds recueillis permettent de lancer les premiers travaux, avec un objectif : restaurer Slat Lkahal de la manière la plus authentique qui soit, aussi fidèle que possible à l’originale. Avec ses arcs et voûtes en pierre, ses 200 places assises, ses décors muraux, son carrelage et son mobilier en bois. M. Bitton fait appel aux services bénévoles d’un architecte parisien, Jonathan Myara, et embauche directement des artisans de la ville, ce qui permet d’économiser les frais d’intermédiaires : « j’ai également confié la fabrication de la Teba et la restauration de l’Ekhal à des mâalems d’Essaouira, qui se baseront sur des photographies de l’époque pour reproduire des modèles quasi-identiques ».
“ IL N’EST PAS DE PAYS SANS HISTOIRE, IL N’EST PAS DE POPULATION SANS MÉMOIRE. LES PIERRES SONT NOTRE AVENIR, NOTRE IDENTITÉ, NOTRE ALSUWAIRA. SLAT LKAHAL DOIT RESTER UN TÉMOIGNAGE VIVANT DE LA CULTURE MOGADORIENNE. ”
Slat Lkahal renait de ses cendres
Octobre 2014, un vendredi après-midi au mellah lqdim. Un demi-siècle s’est écoulé depuis le départ de la famille Bitton de Mogador. La persévérance de Haïm a porté ses premiers fruits. La majorité de la salle de prière a été réhabilitée, ainsi que la façade nord de la synagogue, dont le ravalement a été achevé en mars 2013. Il reste à présent à restaurer les 4 chambres annexes qui seront transformées en salles de musée avec des expositions permanentes. Chaque pièce sera dédiée à un thème : les rabbins de la ville (dont le premier, Rabbi Yossef Knafo, ses ouvrages sur le talmud demeurent une référence en la matière), les ladies de la ville, les Tujjar al Soultane (les commerçants du roi) et enfin la vie quotidienne à Mogador. « L’achèvement des travaux dépendra des fonds collectés. Les projets à caractère culturel pâtissent de la conjoncture économique difficile, mais j’espère que notre appel aux dons sera entendu et que Slat Lkahal fera de nouveau la fierté de tous les enfants de Mogador, juifs comme musulmans », confie Haïm.
La famille Afriat dans son riad à Mogador, en 1903. Riches négociants originaires d’Oufrane dans l’Anti-Atlas, ils furent les premiers à introduire le thé vert au Maroc.
Souvenirs du Mogador d’antan
Au siècle dernier, Mogador comptait 47 synagogues. Et pour cause : au milieu du 19e siècle, on y recensait près de 10.000 juifs (source: Centre Jacques Berque), venus dès 1760 à l’appel du sultan Sidi Mohammed Ben Abdallah pour faire d’Al Suwaira le premier port du Maroc ouvert sur le commerce extérieur avec l’Europe et l’arrière-pays saharien. Ils sont nommés à des postes clés, négociants du roi (tujjar a sultane), représentants consulaires, interprètes, banquiers et autres commandants du port. Polyglottes et occidentalisés, ils sont l’intermédiaire entre le sultan et les puissances étrangères, notamment l’Angleterre, la France, la Hollande et l’Italie. Cette élite juive, qui remplira sa mission première avec succès, donnera en filigrane un nouveau visage urbanistique, architectural et socioculturel à la ville. Installée au port, dans la Kasbah et pour d’autres au vieux Mellah bâti en 1804, (par opposition au Mellah Zdid, construit en 1846 pour absorber la surpopulation), la communauté juive de Mogador côtoiera les populations musulmane puis chrétienne dans un melting-pot à nul autre pareil, émaillé de rares épisodes de tensions intercommunautaires, souvent conséquentes à des altercations individuelles.
L’adieu aux remparts
Le premier grand départ des Juifs du Maroc a eu lieu dans les années suivant la création de l’État d’Israël en 1948. Suivi de deux autres exodes, à l’indépendance du Maroc en 1956, à la veille de la Guerre des Six jours de 1967 et dans les années qui suivirent la 3e guerre israélo-arabe. Aujourd’hui, il ne reste plus qu’un seul juif natif d’Essaouira qui y réside sur les 3.000 Juifs que compte encore le Royaume (contre 300.000 avant 1948). Ses coreligionnaires viennent en touristes ou en pèlerinage sur les tombeaux des saints juifs souiris, dont Rabbi Haïm Pinto. Quant aux synagogues, une seule a été restaurée à ce jour, celle de Haïm Pinto en 2004, et une autre, Simon Attias, en cours de réhabilitation (voir entretien André Azoulay). Quelques-unes ont été transformées en cafés ou en restaurants, on le devine aux étoiles de David incrustées en haut de leur porte d’entrée. Le mellah, dont la partie collée aux remparts a été rasée et qui se trouve dans un état de délabrement et d’insalubrité déplorables, fait quant à lui l’objet de timides travaux d’aménagement urbain depuis que l’Unesco a inscrit Essaouira sur la liste du patrimoine culturel de l’humanité.
Le réveil du Juif en chaque Marocain
« Le peuple juif a une mémoire historique extraordinaire. On n’oubliera jamais notre Mogador, il est en nous. Je suis de la dernière génération des Juifs natifs de cette ville. On a transmis à nos enfants cette histoire marocaine, autant que faire se peut dans l’exil. Mais ce ne sont pas eux qui la sauvegarderont, car ils ne l’ont pas vécue, ne s’en sont pas imprégnés corps et âme comme leurs parents et leurs aïeux. Demain, ce sont donc les intellectuels musulmans marocains qui devront prendre la relève de cette mémoire, comme le font déjà certains romanciers, chercheurs et étudiants auxquels les parents ont raconté cette coexistence faite de respect, d’estime et d’amitié. Essaouira en a besoin, c’est sa carte d’identité, on ne peut pas et on ne doit pas laisser s’effacer trois siècles d’histoire, car il n’est pas de pays sans Histoire, car il n’est pas de population sans Mémoire. Les pierres sont notre avenir, notre identité, notre Al-Suwaira. Slat Lkahal doit rester un témoignage vivant de la culture mogadorienne ». Au mellah lqdim, Mbark Bahraoui, 90 ans, est toujours là, immuable dans son échoppe depuis 1943. Seul lui se souvient encore. De “Msiou Kakon”, propriétaire de l’unique cinéma de Mogador, du parfum de la skhina émanant des fours publics, du pique-nique de Mimouna au Pont Rose, de la hilloula de Rabbi Nessim Ben Nessim à Aït Bayyoud, des cris de joie des enfants juifs jouant à la taârija avec leurs copains musulmans à Achoura, des bavardages des mères depuis leur balcon et des amourettes sur la plage fouettée par les vents… Nous quittons le mellah alors que le soleil se couche sur la Sqala. Un rabbin et ses enfants venus de Casablanca croisent notre chemin. Une lueur jaillit soudain des yeux du vieux Mbark : « C’est shabbat .Puisse Dieu accepter vos prières et bénir tous ceux qui nous ont quitté ! Allah isawab… », murmure le vieil homme en haillons avant de nous tourner le dos. Mogador si je t’oublie...
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LES GARDIENS DE LA MÉMOIRE
Les anciens peuvent reposer en paix. La mémoire juive marocaine a ses gardiens. De toutes générations et de toutes confessions confondues, ces Marocains de naissance ou de coeur se battent chacun à leur échelle pour pré server, perpétuer et faire rayonner ce judaïsme marocain, composante singulière de l’identité plurielle du pays et qui fait la fierté des Juifs marocains comme de leurs compatriotes musulmans. Confidences.
André Azoulay, Conseiller de SM le Roi
Président fondateur de l’Association Essaouira Mogador
La relation entre Islam et Judaïsme marocains n’est pas simple rhétorique ou plongée dans l’éther. Nous chantons, nous dansons ensemble, nous jouons des instruments que nous partageons. Quand on entend sur la scène du Festival des Andalousies Atlantiques artistes juifs et musulmans jouer ensemble, on a le sentiment qu’ils ne se sont jamais quittés. À ceux qui disent qu’il n’y a plus que 3000 Juifs au Maroc, je réponds que la réalité marocaine ne se mesure pas à l’aune du sol qu’on foule sous ses pieds. Il y a aujourd’hui un million de Juifs dans le monde qui se présentent comme Marocains. Ils sont confrontés à des environnements où tout leur commande d’oublier, de devenir comme les autres. Mais de génération en génération, ils partagent, transmettent cette mémoire et résistent à l’amnésie. Aujourd’hui, nous avons lancé la restauration de la synagogue Simon Attias d’Essaouira. Celle-ci sera un lieu de culte mais aussi de partage, dans le sens où elle englobera aussi un centre de recherche et d’études sur la religion juive et les relations judéo-musulmanes.
Françoise Atlan
Directrice artistique du Festival des Andalousies atlantiques
Il y a des choses de l’ordre de l’indicible. Dans d’autres villes du Maroc, on sait qu’il y a eu des Juifs. A Mogador, on le sent. C’est de l’ordre de l’affectif, du ressenti, et quand on connait l’histoire, ça ne fait que corroborer ce sentiment. Dans les rues, les bâtiments, le parler comme la musique souirie, on ressent cette interpénétration entre les identités amazighe, arabe et juive. Essaouira est au confluent de toutes ces cultures, et c’est ce qui fait sa singularité et celle des Andalousies atlantiques. Quand j’entends par exemple le Qoddam jdid, je retrouve une espèce de vocalité très hébraïque avec le son de l’accordéon. Une espèce de liberté dans le cadre très discipliné de la musique des Zaouias, comme une fantaisie, c’est peut-être l’effet du vent légendaire de Mogador (rires) !
Elmehdi Boudra
Président Association Mimouna - Les jeunes prennent la relève
Née en 2007 à l’initiative d’étudiants musulmans de l'Université Al Akhawayn, cette association non gouvernementale a pour objectif la préservation et la promotion de l’héritage judéo-marocain. De simple club estudiantin à sa création, Mimouna est devenue aujourd’hui une association active dans plusieurs villes du Maroc, en l’occurrence Ifrane, Fez, Marrakech et Rabat, cette dernière abritant le siège de l’ONG. « En février 2014, nous avons organisé la Caravane du patrimoine judéo marocain à travers les villes d’Ifrane, de Fez et de Marrakech pour sensibiliser les jeunes à l’histoire plurielle du Royaume et à la facette juive de l’identité marocaine. La Caravane vient de clôturer son périple new-yorkais, où nous avons été reçus par la communauté judéo-marocaine pour une semaine d’échanges et de débats. Enfin, nous voulons pour l’année 2015 organiser une grande Mimouna qui sera ouverte au public, afin de faire revivre cette fête typiquement marocaine où se réunissaient Juifs et Musulmans », nous confie son jeune président Elmehdi Boudra. L’Association Mimouna bénéficie du soutien actif du Musée du judaïsme marocain de Casablanca et de la Fondation du patrimoine culturel judéo-marocain.
Vanessa Paloma Chanteuse, écrivaine et conférencière
L’oralité en partage
Vanessa Paloma est descendante du côté de sa mère d’une famille juive andalouse réfugiée à Tétouan après l’édit d’expulsion des Rois catholiques en 1492. Native de Bogota (Colombie), elle décide d’élire domicile au Maroc après avoir quitté les États-Unis en 2007 dans le cadre d’une recherche universitaire. Très active au sein de la communauté juive, spécialiste de la musique médiévale, elle est la première femme à avoir intégré Kinor David, chorale judéo-arabo-andalouse sous la férule de Michel Abittan, fondée en 2008 à Casablanca. Vanessa Paloma, chantre du ladino (judéo-espagnol), accompagne le Kinor David au Maroc et à l’étranger : « Nous voulons faire sortir le Matrouz (procédé traditionnel insérant dans la poésie hébraïque des strophes en langue arabe) des synagogues et de la communauté pour le présenter au grand public au Maroc et à l’étranger. L’émotion est toujours très grande dans ces rencontres, comme la fierté d’être les ambassadeurs musicaux de ce pays unique au monde dans sa pluralité exemplaire». « Al Maghrib dialha », où elle a donné naissance à ses deux fils nés de son union avec le producteur casablancais Maurice ElBaz, Vanessa Paloma le chérit, le défend et le nourrit. Consciente de l’oralité dominante de la culture marocaine, elle a monté le projet « Khoya » (« mon frère » en darija/ « bijou » en judéo-espagnol), qui aspire à rassembler les archives sonores du Maroc juif. « Comme on dit dans la Kabbale, l’âme est dans la voix. L’idée est de recueillir et de classifier la mémoire qui n’a pas été écrite, de ramener les voix des artistes célèbres (chanteurs, musiciens) comme des gens ordinaires qui sont partis et ceux qui restent, afin de permettre à la jeune génération de savoir comment ont vécu ces communautés entre elles et avec leurs compatriotes de confession musulmane ». Un matériau précieux en perspective pour les étudiants et les chercheurs autour du judaïsme marocain.
Zhor Rehihil
Conservatrice du Musée du judaïsme de Casablanca
Le Maroc juif dans un écrin
Trois ans après la disparition de son directeur Simon Lévy, sommité politique et intellectuelle marocaine, le musée du judaïsme marocain (ouvert en 1997), sis rue Jules Gros à Casablanca, poursuit sa mission. Sa conservatrice, Zhor Rehihil, qui était auparavant une étudiante du brillant linguiste, se souvient encore des mots de son professeur : « Simon me disait souvent que l’avenir du judaïsme marocain, et donc de notre identité plurielle, est entre les mains de nous autres Marocains musulmans. Que c’était à nous de reconstituer et ressusciter cette mémoire collective, afin qu’il en subsiste autre chose que des cimetières… N’est-ce pas la preuve du courage et de la grandeur d’une civilisation ?». La paisible villa du quartier de l’Oasis abrite également le siège de la Fondation du patrimoine culturel judéo-marocain, présidée par Jacques Tolédano : « Feu Simon Lévy a posé le ciment culturel de cet éveil mémoriel. Grâce à Monsieur Jacques Tolédano et à son généreux mécénat, le musée et la Fondation continuent leurs actions en faveur de la diffusion et du rayonnement du judaïsme marocain », assure Zhor. A ce jour, la Fondation a restauré 9 lieux de culte : les synagogues Ben Danan et Slat Lfassiyine à Fez, la synagogue Tolédano à Meknès, les synagogues Nahon à Tanger et Benoualid à Tétouan, la Grande synagogue d’Errachidia, trois autres à Tiznit (Khmiss Arazane), Ifrane de l’Anti-Atlas et Ouarzazate (Ighil Noumgoun). Une dixième est en cours de réhabilitation (avec le soutien notamment du Ministère de la Culture, l’Association Essaouira Mogador, la Province d’Essaouira et le gouvernement d’Allemagne), à savoir Slat Simon Attias à Essaouira, célèbre pour le tribunal rabbinique abrité par le même bâtiment. Le nouvel édifice comprendra également le centre Haïm Zafrani d'étude du judaïsme marocain, du nom de l’illustre historien.
Nicole Elgrissy, Écrivaine
La Renaicendre en héritage
Son roman, « La Renaicendre, mémoire d’une marocaine juive et patriote », paru en février 2010, cartonne en librairie comme sur internet, malgré les ruptures de stocks liés à un litige avec l’éditeur. 5 ans après, Nicole Elgrissy a décidé de rééditer La Renaicendre. Dans son style caustique et attachant, l’auteur fait revivre tous les personnages de son enfance marocaine : « L’exode a fait que les portes se sont fermées sur 2500 ans d’histoire et de souvenirs communs. Or, on n’a pas suffisamment raconté le vécu et la douleur de ces Juifs qui, par choix ou par contrainte, se sont arrachés à leur terre natale pour se disperser aux quatre coins du monde. Et cette peine-là, elle a été vécue par les partants, mais aussi par les restants qui, faute de moyens pour rendre visite aux êtres chers, sont demeurés dans cette déchirure muette», confie l’écrivaine, qui explique que la nouvelle édition de son ouvrage comportera des ajouts quant à son travail de sensibilisation autour de la mémoire juive marocaine sur les réseaux sociaux. « On a arraché un arbre gigantesque, mais ses racines sont toujours là. Je vais passer le temps qu’il me reste à vivre à retranscrire cette mémoire et à combattre l’ignorance et les amalgames autour de cette histoire étouffée car douloureuse. Afin que les Marocains de la 3ème génération après l’exode sachent qu’il faut perpétuer ce modèle de coexistence coute que coute après le départ des derniers juifs du pays. Afin que dans 50 ans, ma petite-fille puisse venir se recueillir sur ma tombe au Maroc, et qu’elle puisse venir boire le thé à Casablanca avec la petite-fille de la nourrice de mes enfants… »
Glossaire
Yom Kippour: Jour du Grand Pardon, commémorant le pardon accordé par Dieu au peuple juif pour la faute du Veau d’or. C’est le jour de fête le plus saint de la Torah.
Paytanim: Auteurs ou interprètes de poèmes liturgiques (dits piyoutim).Teba Pupitre de lecture des textes saints, situé au centre de la synagogue.
Chaharit: Prière du matin.
Ekhal: L’arche sainte renfermant les rouleaux de la torah.
Kas: Lanternes en verre dédiées aux morts et suspendues au plafond.
Talmud: de l’hébreu « étude », versant oral de le Bible hébraïque. Rédigé dans un mélange d’hébreu et d’araméen, ce texte est le fondement de la Halakha, la loi juive.
Minian: Quorum de 10 hommes adultes nécessaire à la récitation des prières les plus importantes de tout office ou de toute cérémonie.
Bakachot: Suppliques que le poète adresse au Tout Puissant. Un grand nombre de livres de prières de rite marocain en renferment en guise d'introduction. Elles sont souvent chantées avant l'office du matin en attendant l'arrivée des fidèles. Selon le musicologue A. Amzallag, l’origine des bakachot se trouverait dans la ville de Safed, un des centres les plus importants de la pensée cabbalistique.
*Salomon ibn Gabirol (1020-1058, Valence) : rabbin andalou, poète, théologien et philosophe. Son poème leplus célèbre, Keter Malkhout (de « couronne » et « royaume »), est encore chanté à Yom Kippour.
Article de Mouna IZDDINE
paru dans A LA UNE - DU 14 AU 20 NOVEMBRE 2014 - L ’ OBSERVATEUR
Commentaires
ames de vos ancetres juifs du maroc veillent sur nous marocains
la culture juif est encré en nous le casher au maroc c est un cassecroute tant aimé par nos jeunes..
revoir l education des jeunes ne pas laisser place au malades des religions nos grands peres etait des valeureux vivaient avec nos freres juifs comme une seule famille moi meme arabe de oulad hriz ne casablancais allaité par une mere juive pedant plus de six mois dans une piyole maisonette pas loin du quartier verdun a casablanca quartier juif par exelence revoir l education des jeunes
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