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Que cache la haine envers Israël ?

Que cache la haine envers Israël ?

 

Ancien chercheur au CNRS, chargé de mission à la Cité des sciences et de l’industrie et auteur de deux longs-métrages : Autopsie d’un mensonge, le négationnisme (2000), et Décryptage (2003), Jacques Tarnéro nous reçoit à Genève pour nous présenter son dernier ouvrage « Le nom de trop : Israël illégitime ? », paru en novembre 2011.

 

Quel est l’objectif de cet ouvrage ? Quel message souhaitez-vous faire passer ?

« Au départ, j’ai écrit ce livre en réponse à celui de Stéphane Hessel « Indignez-vous », paru en décembre 2011 et édité à plus de 1.900.000 exemplaires, ce qui est un succès stupéfiant vu la vacuité de l’ouvrage. L’auteur véhicule une bonne conscience comme relai ou substitut de toute pensée. Il prend appui ou plutôt prétend s’adosser sur les idéaux de la Résistance au nazisme. Il y a dans cette démarche quelque chose d’extrêmement gênant car la France n’est pas aujourd’hui privée de liberté. Les Français ne vivent pas sous un joug totalitaire. Il y a une instrumentalisation d’un symbole pour mieux accabler l’adversaire. Et quel est il ? L’unique cause de l’indignation de Stéphane Hessel se nomme Israël. Le Résistant Hessel pointe et nomme le Mal. Pour lui et les « indignés », il n’y a pas d’autre puissance maléfique à la surface de la Terre qui mobilise leur énergie que l’action d’Israël en Palestine. Aucun indigné n’est descendu dans la rue à ce jour pour dénoncer les massacres en Syrie, au Darfour, au Tibet, en Egypte, pour dénoncer l’épuration ethnique contre les Coptes ou les chrétiens d’Irak. Mon livre questionne cette trop bonne conscience , cette indignation sélective, l’analyse et la démonte en essayant de prouver, que bien au contraire, c’est Israël qui nous protège tout autant que l’existence de cet Etat et celle de son droit à l’existence, protège les libertés (la conscience démocratique, la liberté des femmes, l’esprit critique…). La deuxième raison pour laquelle j’ai choisi d’écrire ce livre réside dans ce constat insupportable de l’accablement continu et incessant, de plus en plus grave et de plus en plus menaçant, qui condamne tout ce que fait Israël, quoi qu’il fasse, la paix comme la guerre. Aujourd’hui, c’est sa légitimité, son droit à exister qui est mis en cause. Avec un acharnement récurrent, ce qui est en cause va bien au-delà de la politique menée par Israël. Dans mon livre, je détaille l’histoire de cette condamnation radicale qui est une énigme dans l’histoire. »

 

Justement, comment expliquer qu’Israël est sans cesse remis en question, délégitimisé, accusé et utilisé pour déverser sa haine contre les Juifs ?

« Récemment, l’historien israélien Shlomo Sand a reçu un accueil très favorable de la critique et le prix « Aujourd’hui » pour son livre intitulé « Comment le peuple juif fut inventé ». Le peuple juif serait donc une invention, une notion artificielle puisque une création artificielle. Si l’on considère que les ayant-droits d’un peuple, seraient le droit à une patrie, à un Etat sur un territoire donné, alors l’Etat que ce peuple inventé revendique n’a pas de raison d’être puisque ce peuple n’a pas de légitimité à se nommer tel, qu’il n’existe pas. Ce serait donc une « imposture ». Pourtant, le concept de peuple se définit comme l’ensemble des personnes qui se reconnaissent en lui. Un peuple possède des attributs constitutifs (une religion, une langue, un alphabet, des coutumes, une histoire commune…). Il se trouve que ce livre dénie aux Juifs la qualité de peuple, alors que dans son histoire et depuis sa création, on répète dans les textes et la liturgie : « l’an prochain à Jérusalem ». S’il y a un groupe humain qui possède ces critères, ce sont bien les Juifs dont l’histoire, y compris dans leur dispersion, montre la pérenité comme peuple. A Paris, une grande figure du monde intellectuel, Alain Badiou, professeur à l’Ecole normale supérieure, (qui avait signé en 1979 une tribune dans Le Monde intitulée « Kampuchea vaincra », dans laquelle il soutenait le pouvoir khmer rouge, responsable du génocide cambodgien), aujourd’hui gourou de la gauche radicale, a mis en cause la pertinence de la notion même du « nom Juif » . Si ce « nom » Juif n’a pas de pertinence, le peuple qui rassemble l’ensemble des « noms juifs » n’a pas, par voie de conséquence, non plus de pertinence ni de légitimité. On peut donc dire que les élucubrations de M. Badiou s’articulent et complètent celles de Shlomo Sand. En effet, ce que ces deux personnages avancent, montre que l’essence même de la revendication juive et du sionisme serait fausse et mensongère. C’est bien le statut d’Israël qui est visé, sa légitimité conceptuelle, puisque les racines de cette histoire mériteraient une remise en cause radicale».

 

Comment réagissez-vous face aux déclarations accusant Israël d’instrumentaliser la Shoah à des fins politiques ?

« Quand l’Iran menace Israël d’anéantissement, peut on accuser les juifs d’instrumentaliser leur histoire ? Quel peuple peut vivre avec comme mémoire, l’histoire de sa destruction et comme perspective d’ avenir une destruction annoncée ? En 1980, Robert Faurisson déclare que « la prétendue Shoah et le prétendu génocide des Juifs sont un seul et même mensonge qui a servi a escroquer le peuple allemand, le peuple palestinien et dont les bénéficiaires sont l’Etat d’Israël et le sionisme international » ! Cette « invention » désigne donc les juifs comme étant des imposteurs qui auraient inventé l’histoire de leur propre martyre. En 1977, le journal Le Monde, considéré comme le journal de référence, avait publié sur une pleine page deux articles de volume égal, un texte de Robert Faurisson déclarant que les chambres à gaz n’avaient jamais existé, et sur l’autre moitié de la page, celui de Georges Wellers, premier historien de la déportation, déclarant le contraire. Le fait que le quotidien ait mis sur un pied d’égalité un mensonge et une vérité a introduit un poison radical sur le « signe juif » et sur ce qu’était et faisait Israël. En 1982, au moment de la première guerre du Liban, le journal Témoignage Chrétien avait publié un article intitulé « Les Palestiniens dans Beyrouth comme les Juifs dans le ghetto de Varsovie ». Ici, le lecteur se demande finalement qui sont les nazis. Le non-dit de ce titre induit alors l’idée qu’Israël a une pratique nazie et représente le « Mal absolu ». Les choses vont ensuite se succéder avec la seconde Intifada. A cette période, la célèbre image du petit Mohammed Al-Dura, présenté comme mort dans les bras de son père avait été mise en avant. Une journaliste d’Europe 1 avait alors commenté cette photo en déclarant que cette image annulait celle du petit garçon juif en culotte courte, prise dans le ghetto de Varsovie. Une fois de plus, si cette photo annule la première, on se demande qui est le SS. C’est à cette période que la mise en place symbolique de la nazification d’Israël a commencé. Récemment, lors de la flotille humanitaire censée apporter des médicaments périmés à Gaza, des soldats israéliens ont tué neuf turcs d’un mouvement islamiste fanatique. Suite à cette affaire, des manifestations dans Paris et à Londres ont été organisées par des activistes affichant des banderoles présentant un signe = entre la croix gammée et l’étoile juive. Autre exemple lors du séisme en Haïti, à la suite duquel une équipe médicale israélienne est venue apporter son aide. Des médias arabes ont déclaré que cette équipe était en fait venue pour effectuer des prélèvements d’organes. Ce mensonge présenté comme un fait avéré a été repris et mis en avant pendant quinze jours sur le site du Nouveau Parti Anticapitaliste d’Olivier Besançenot, qui s’est ainsi fait le relai d’une rumeur moyenâgeuse. Les choses ne s’arrêtent pas là. Désormais, des « humoristes » tel que Dieudonné diffusent dans l’opinion publique cette haine visant à nazifier les Juifs et tout ce qui vient d’Israël. Comment un passage à l’acte criminel, l’assassinat d’un jeune juif innocent en 2006, Ilan Halimi, a-t-il pu se produire ? Un député français, Julien Dray avait déclaré : « Dieudonné en a rêvé, et Fofanna l’a fait ! ». Avait-il tort ? Etait-ce abusif ? Sûrement pas. Le gang des barbares n’a certainement pas lu Badiou, ni Sand, ni Gobineau, ni Le Pen… par contre, un air du temps lui a soufflé que kidnapper un Juif pour rançonner sa « communauté riche et puissante », était quelque chose de faisable. La raison de ce passage à l’acte réside dans les préjugés diffusés dans la culture du lumpen proletariat de banlieues qui laissent croire que les Juifs sont nuisibles, solidaires et ont de l’argent. » Ceci dit pour répondre précisément à votre question, je pense qu’il y a eu de la part des mileux juifs une invocation abusive de l’histoire de la shoah comme étant la mesure du Mal absolu et que ceci fut une erreur, car dans sa singularité et dans son unicité, la shoah ne peut pas être désignée comme la représentation d’un Mal indépassable. Il n’y a pas de physique du Mal, c’est absurde. Depuis, il y a eu d’autres crimes terrifiants et on ne sauraient les mesurer comparativement, au Cambodge, au Rwanda. Chaque grand crime possède son unicité. Il faut aussi se méfier de ceux qui ne versent de larmes sur la shoah que pour mieux dénoncer Israël. Il y a un usage alibi de cette compassion pour les morts tandis qu’on accable les vivants. La nouvelle haine des Juifs se repait de son amour pour les Juifs morts. »

Dans votre livre, vous parlez également de boycott d’Israël. Ce boycott est de plus en plus présent dans le monde et notamment en Suisse. Ne craignez-vous pas que votre livre soit, lui aussi, boycotté ?

« C’est la Chine qui devrait être boycottée. Ce pays est d’ailleurs en train de faire disparaître le peuple tibétain, mais personne n’en parle. Pourtant, une dizaine de moines tibétains se sont immolés par le feu pour interpeller le monde du sort fait à leur pays et à leur peuple. Cependant, à la différence des bombes humaines, qui ne sont pas des suicides mais des actes jubilatoires, l’immolation des moines est, elle, un vrai geste de désespoir. Le seul fait de nommer un « attentat suicide » une bombe humaine qui tue en se détruisant, c’est entrer dans la stratégie terrifiante de ceux qui l’ont inventée comme arme contre Israël. En effet, la bombe humaine, le prétendu suicidé, induit une compassion pour celui qui se fait exploser et culpabilise ses victimes puisqu’il « se suicide ». C’est ne rien comprendre à la folie islamiste que de nommer les choses ainsi. Quant à mon livre, sorti le 2 novembre 2011, il a été envoyé dans toutes les rédactions en France mais à ce jour, c’est le silence total. Il n’y a qu’aux Etats-Unis et en Belgique ou dans les communautés juives que j’ai été invité à en parler. Je pense que ce livre dit un certain nombre de choses qui ne veulent pas être entendues et surtout pas débattues.

Selon vous, que faudrait-il faire pour changer les mentalités ou le regard des journalistes afin de redonner une image réelle et positive d’Israël ?

« Je n’ai aucune solution car nous ne sommes pas dans l’ordre du rationnel. Ce qui est dit sur Israël relève des mêmes catégories de fantasmagories que crée l’antisémitisme classique. Les juifs sont encore aujourd’hui accusés de tous les malheurs du monde. Dans le monde arabe c’est une évidence. En Egypte par exemple, une touriste allemande a été attaquée par un requin à Sharm el Sheikh. Commentaire du directeur du tourisme égyptien : « ces requins ont été dressés par le Mossad ». En ce qui concerne la France et l’Europe, l’accablement d’Israël a une fonction thérapeutique, permettant aux Européens de dire « Vous, les Juifs-israéliens, faites aux palestiniens ce que nous vous avons fait durant la Seconde guerre mondiale». La particularité française consiste, quant à elle, à dire que les Juifs-israéliens font subir aux Palestiniens ce que les Français ont fait subir aux Algériens. Ainsi, les consciences ressortent blanchies et propres. Les dettes de culpabilité sont épongées. Tout ceci n’est pas de l’ordre de la raison. Au dernier festival de Cannes, le cinéaste Lars Von Triers a eu des mots qui ont faché, mais pas tous : il a trouvé de bonnes excuses à Hitler, ce qui lui a valu des réprimandes et a ajouté « Israël fait chier », mais n’a reçu aucune réprimande, car en effet, c’est une opinion souvent partagée dans la meilleure des bonnes consciences, que celle qui dit que sans Israël, la terre tournerait mieux … Que faudrait-il faire ? La seule strtégie possible serait de sortir de notre solitude et de l’enfermement judéo-juif. Il faut dire aux Européens et aux peuples vivant dans des démocraties ce que José Maria Asnar, ancien premier ministre espagnol, avait déclaré : « Si Israël tombe, nous tomberont tous ». Ce qui menace Israël vous menace. Ce qui menace Israël menace nos libertés, la liberté des femmes. Israël est bien la première ligne de front, mais c’est l’Europe en tant qu’ensemble culturel qui est déjà malmenée. Or, les démocrates européens n’osent pas nommer les choses, n’osent pas affronter ces nouvelles questions et laissent à l’extrême droite le libre champ pour des délires symétriques. Le sabotage, par des islamistes, d’une rencontre à Bruxelles, à l’ULB, autour de Caroline Fourest, pour son enquête sur l’extrême droite, montre la sainte alliance qu’il existe entre intégristes de tous poils.

Compte tenu de l’actualité, comment voyez-vous l’avenir d’Israël et son influence sur l’avenir des Juifs d’Europe ?

« On ne peut être que très inquiet ! D’abord parce qu’une menace existentielle est annoncée par le Président de la République iranienne Mahmoud Ahmadinejad, qui ne cesse de déclarer qu’il y a un Etat de trop et qu’il va le détruire. On ne peut pas ne pas penser à la déclaration de Goebbels à la Société des Nations en 1938 qui déclarait : « nous allons nous occuper des Juifs ». On connaît la suite de l’histoire. Je suis donc très inquiet pour Israël, qui a heureusement les moyens de se défendre. Ce petit pays représente trois départements français, face à l’Iran qui représente trois fois la France ! Que va-t-il se passer si l’Iran annonce qu’il a la bombe atomique et qu’il compte l’utiliser contre Israël ? Qui va se battre pour Israël, ou à côté d’Israël? La presse vient d’annoncer une reprise des négociations avec l’Iran. Comment les Etats occidentaux peuvent ils croire un seul instant à une bonne volonté de ces gens là ? Concernant les Juifs d’Europe, le paysage est tout aussi inquiétant. Je pense que les Juifs ont désormais un avenir de « personnages de musée ». On les apprécira pour leur finesse d’esprit, leur névrose, leur humour, leur littérature, mais plus comme acteurs politiques du monde réel. Dans certains quartiers de France et d’Europe, ils seront marginalisés et peut-être risqueront-ils de devoir marcher la tête basse. Il y a en effet un rapport de force qui correspond à la nouvelle donne démographique et culturelle. Et les juifs sont le marqueur, le baromètre de cette nouvelle donne. La présence juive en Europe, son avenir est désormais problématique pour autant que les Juifs veuillent s’affirmer tels. Tout ceci n’est que le reflet d’une actualité que personne n’ose regarder en face, donc on ne peut être que très inquiet. »

Par Elodie Benarousse pour la CICAD

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