Lettre de David Ben Gourion au Général de Gaulle : 6 décembre 1967
Ce document historique passionnant est une magnifique réponse aux mensonges et à la désinformation concernant Israël.
Monsieur le Président,
C’est la troisième fois que je me permets de m’adresser à vous de ma propre initiative, car vous aviez, au terme de notre deuxième entretien le 17 juin 1960, exprimé le désir de garder un contact direct avec moi, et m’aviez prié de vous écrire lorsque j’en éprouverais la nécessité.
De plus, ayant quitté le gouvernement il y a quatre ans pour des raisons personnelles, je n’aurais pas osé vous déranger si nous ne nous étions revus cette année au cours des funérailles du Dr Adenauer dans la capitale de l’Allemagne de l’Ouest, et si nous n’avions eu, sur votre demande, un entretien amical et cordial, en dépit du fait que je ne suis plus aujourd’hui qu’un simple citoyen de l’État d’Israël. Enfin, je prends la liberté de vous écrire, car j’ai été troublé par votre discours dans lequel vous avez accordé une place importante à l’État d’Israël, au sionisme et au peuple juif. Il y avait dans ce discours quelques propos attristants et inquiétants, et comme je suis de ceux qui vous estiment et vous respectent depuis fort longtemps bien avant d’avoir eu l’honneur de vous rencontrer non pas pour votre amitié et votre aide à Israël pendant de longues années, mais pour le grand acte historique que vous avez accompli pendant et après la Seconde Guerre mondiale, en sauvant l’honneur et la position de la France à qui notre peuple et toutes les nations sont redevables depuis la Révolution française pour son action en faveur du progrès social et culturel de l’humanité, j’ai décidé de vous faire part de quelques remarques.
Je me suis abstenu d’adhérer à la critique injuste formulée par de nombreuses personnes en France, en Israël et dans d’autres pays qui, je pense, n’ont pas examiné vos propos avec tout le sérieux requis. Je ne considère pas avoir le droit de discuter vos opinions sur la politique française à l’égard des autres pays dont Israël si vous n’en faites pas vous-même la demande. Mais je sais que d’innombrables personnes dans le monde chrétien ne connaissent ni ne comprennent l’essence même du judaïsme, unique et sans précédent dans l’histoire de l’humanité, depuis l’antiquité et jusqu’à nos jours. Par respect et estime pour vous, Monsieur le Président, je me vois dans l’obligation morale envers mon peuple, envers vous et le peuple français qui nous a tant aidés avant et depuis la renaissance de l’État juif, d’insister sur les intentions réelles et la voie choisie par l’État d’Israël. J’ai, pendant quinze ans depuis la création de l’État, été le Premier ministre et le ministre de la Défense, et ai pris une part active dans l’orientation de notre politique étrangère et de défense. Et, avant la création de l’État, j’ai, en tant que président du Comité directeur de l’Organisation sioniste à Jérusalem, agi pendant quinze ans de façon parfois décisive sur la politique sioniste en faveur de l’État.
Nous étions, dans l’Antiquité, le premier peuple monothéiste du monde, et cette foi en un seul Dieu, qui n’était ni comprise ni acceptée par tous les autres peuples à quelques exceptions près, nous a causé de grandes souffrances. Les Grecs disaient de nous que nous sommes un « peuple sans Dieu », puisque nous n’avions aucune idole dans nos villes et agglomérations. Les Romains nous accusaient d’être paresseux, car nous nous reposions un jour par semaine. Inutile de mentionner ici ce que dirent de nous de nombreux chrétiens lorsque le christianisme s’imposa dans l’empire romain, et que les Juifs refusèrent d’adhérer à cette religion née en Palestine, au sein même du peuple juif. Notre indépendance dans notre patrie fut anéantie à deux reprises. Jérusalem fut totalement détruite par le vainqueur romain, et son nom fut même effacé pendant longtemps. Mais nos ancêtres, captifs à Babylone il y a près de 2 500 ans, pleuraient sur les bords des fleuves en se souvenant de Sion (psaume 137), et s’étaient juré : « Si je t’oublie, Jérusalem, que ma droite m’oublie ! Que ma langue s’attache à mon palais, si je ne me souviens de toi, si je ne fais de Jérusalem le principal sujet de ma joie ». Et ils demeurèrent fidèles à leur serment. Tout ceci eut lieu bien avant l’existence de Paris, de Londres ou de Moscou. Vous savez aussi bien que moi que de nombreux peuples adoptèrent le christianisme et ensuite l’islam par contrainte. On essaya aussi de faire pression sur nous, et certains Juifs qui ne purent ou n’osèrent s’opposer, se soumirent. Mais notre peuple dans son ensemble résista, et vous savez certainement ce qui nous arriva en Espagne et pas là seulement au XIe siècle. Je ne connais aucun peuple qui fut chassé de son pays, dispersé parmi toutes les nations du monde, haï et persécuté, poursuivi et massacré rien qu’au cours de notre génération six millions de Juifs furent assassinés par le régime nazi et qui ne disparut pas de l’Histoire, ne désespéra pas ni ne s’assimila, mais bien au contraire, aspira sans discontinuer à retourner dans son pays, continua pendant deux mille ans à avoir foi en sa rédemption messianique, et retourna enfin de nos jours dans son pays pour y renouveler son indépendance. Aucun autre peuple dans ce pays qui, dans notre langue, s’appela toujours, après Chanaan, Eretz Israël (pays d’Israël) ne s’identifia totalement et toute sa vie durant à ce pays, bien que de nombreux peuples le conquirent (Egyptiens, Assyriens, Babyloniens, Perses, Grecs, Romains, Arabes, Seidjoukides, Croisés, Mamelouks, Ottomans, Britanniques et autres). Ce pays ne fut jamais la seule et unique patrie d’autres peuples que le peuple juif.
Je sais qu’il n’y a, dans l’histoire de l’humanité, aucun autre exemple d’un peuple qui revient dans son pays après 1800 ans ; c’est un fait unique en son genre, qui eut des répercussions tout au long de notre existence, car il n’existe aucune génération au cours de laquelle les Juifs n’essayèrent pas (bien qu’ils n’aient pas tous réussi) de retourner dans leur pays. Et le second fait est que le monde chrétien tout entier et la Société des Nations, formée presque entièrement de membres chrétiens, reconnurent le lien historique entre le peuple et le pays d’Israël et approuvèrent la déclaration de Balfour. Nous avons le témoignage d’une Commission royale britannique, à la tête de laquelle se trouvait Lord Peel, et envoyée en 1936 voir ce qui se passe en Palestine. Elle vérifia les documents et trouva qu’« il est clair que par les mots « établissement d’un foyer national en Palestine », le gouvernement de Sa Majesté reconnut qu’un État juif pouvait être rétabli avec le temps, mais qu’il n’était pas en son pouvoir de dire quand cela arriverait.
Le nom de Palestine comprenait les terres à la fois à l’ouest et à l’est du Jourdain, car tel était le pays juif au temps de Josué. Ce n’est qu’en 1922 que Winston Churchill, alors ministre des Colonies, exclut la Transjordanie de la Palestine qui devait devenir un « Foyer national » pour le peuple juif. Certains croient par erreur que c’est la tragédie du peuple juif au cours de la Seconde Guerre mondiale le massacre des six millions de Juifs européens qui amena le monde civilisé (y compris la Russie, car à la réunion de l’Assemblée des Nations Unies en mai 1947 au cours de laquelle cette question fut discutée, c’était le Russe Gromyko qui, le premier, exigea la création d’un État juif en Palestine) à demander l’établissement d’un État juif. Il n’est pas de plus grande erreur que celle-ci. L’extermination des six millions de Juifs fut la plus grande et la plus terrible des catastrophes qui s’abattit sur l’État dont les débuts remontent à 1870 : « Mikveh Israël », la première école agricole juive, fut fondée par les Juifs français de l’Alliance israélite universelle sous la présidence de Crémieux, ministre de la Justice du gouvernement provisoire après l’échec de Napoléon III.
L’immigration et l’installation juives en Palestine, dont le but était de renouveler l’indépendance juive, débutèrent en 1870, lorsque les habitants juifs du pays et les immigrants de Russie, de Roumanie et d’autres pays d’Europe (et même d’Asie et d’Afrique fondèrent les premières agglomérations agricoles qui devaient faire fleurir les déserts et aider à la création d’un État juif. Tout cela s’effectua bien avant l’existence d’un gouvernement « sioniste » et avant la fondation de l’Organisation sioniste mondiale par le docteur Herzl, qui publia en 1896 son « État juif » et devint le dirigeant de ladite organisation. Le lien entre le peuple et le pays d’Israël était si fort que lorsque Herzl dut abandonner l’espoir d’obtenir du sultan turc une charte pour une installation juive massive dans le pays (en vue de la création d’un État juif), et que Joseph Chamberlain du gouvernement britannique lui proposa l’Ouganda en Afrique proposition discutée au Congrès sioniste de 1904 ce furent précisément les Juifs de Russie (bien que leurs droits fussent limités et que le gouvernement organisât lui-même des persécutions contre les Juifs) qui s’opposèrent à l’échange et ôtèrent ladite proposition de l’ordre du jour.
Quant à moi, originaire de la Pologne russe, je suis arrivé en Palestine en 1906 lorsque ce pays faisait partie de l’Empire ottoman, et je n’avais pas l’ombre d’un doute que l’on pouvait y installer des millions de Juifs sur les deux rives du Jourdain, sans déposséder les Arabes de leurs terres, car moins de 10 % de la superficie du pays étaient alors habités. J’ai travaillé moi-même dans les nouveaux villages qui n’étaient auparavant que déserts inhabités.
Lorsque la Société des nations ratifia la déclaration Balfour, je publiai, vers la fin de 1920, un mémoire dans lequel je mentionnais les frontières de la Palestine à l’ouest et à l’est du Jourdain, et que je fis parvenir au nom de Brit Poaléi Zion Haolami (Parti sioniste socialiste) au Parti travailliste britannique. Je disais que selon la déclaration de la Société des nations, il ne fallait résoudre le problème des frontières de la Palestine que pour faire du pays une entité économique et politique pour la création d’une communauté (Commonwealth) juive, et le Parti travailliste approuva cette position. Et, jusqu’en 1922, tout le pays était inclus dans le mandat en faveur d’un Foyer national. Mais, comme habitant du pays, je savais qu’il existait un problème arabe, car les Arabes en Palestine avaient des droits qu’il fallait leur préserver. En 1933, immédiatement après ma nomination au Comité directeur sioniste, je pris contact avec les dirigeants arabes du pays, du Liban et de la Syrie, musulmans et chrétiens. Deux principes fondamentaux guidèrent mes entretiens en 1934. Les Arabes possèdent des pays enAfrique du Nord de l’Egypte au Maroc et au Moyen-Orient Iraq, Syrie et Liban, jusqu’à l’Arabie Saoudite et au Yémen. La superficie des pays arabes en Afrique du Nord est de 8 195 964 kilomètres carrés, et au Moyen-Orient, elle est de 3 607 929, soit au total 11 863 873 kilomètres carrés. La population de ces pays (qui ont également des minorités chrétienne, kurde et berbère) est de 94 587 000 (en 1963). La superficie de la Palestine (Transjordanie comprise) est de 60 000 kilomètres carrés, et sa population (1963) est de 4 181 000 dont 2 356 000 en Israël et 1 825 000 en Jordanie.
Après certains éclaircissements, les deux principes énoncés furent approuvés par mes interlocuteurs : les Arabes ont d’énormes superficies en Asie orientale et en Afrique du Nord, dont la majorité sont encore sous domination étrangère, et habitées par des millions d’Arabes. La superficie de la Palestine ne dépasse pas 0,50 % de celle des pays arabes. La population arabe en Palestine (sur les deux rives du Jourdain) forme 1,5 % de la totalité des Arabes en Asie orientale et en Afrique du Nord.
Selon la conviction juive, enracinée dans l’histoire juive et dans la Bible, la Palestine (des deux rives du Jourdain) est le pays du peuple juif, mais ce pays n’est pas vide ; il est habité par des Arabes depuis la conquête arabe du VIe siècle, leur nombre s’élève maintenant à plus d’un million, soit un peu moins de 1,5 % de la population totale des pays arabes. Il est évident que ceux qui habitent la Palestine ont les mêmes droits que les habitants de tout pays démocratique, et l’État juif ne peut être qu’un pays démocratique.
Le premier dirigeant arabe avec lequel j’ai discuté était Aouni Abdoul Hadi, chef du parti « Istikial » (Indépendance) en Palestine. Je lui dis : « Nous aiderons tous les pays arabes à obtenir leur indépendance et à s’unir en une fédération arabe, si vous acceptez de nous donner la possibilité de transformer la Palestine des deux côtés du Jourdain en un État juif, qui adhérera en tant qu’État souverain à la fédération sémite (arabe et juive) ». Abdoul Hadi me demanda : « Combien de Juifs voulez-vous faire venir en Palestine ?». Je répondis : «En vingt ans (cela se passait en 1934)), nous pourrons faire venir quatre millions de Juifs ». Il se leva alors et me dit avec enthousiasme : « J’irai à Damas et à Bagdad et dirai à mes amis arabes : donnons-leur non pas quatre mais six millions, s’ils nous aident à obtenir l’indépendance et à nous unir ». Il se rassit et ajouta : « Mais vous, Juifs, êtes plus alertes et plus doués que nous. Si vous amenez le nombre de Juifs voulu, en une courte période, même en moins de vingt ans, quelle garantie nous donnerez-vous que les pays arabes se libéreront du joug étranger et pourront s’unir ? ».
Avant ces entretiens, j’avais discuté avec le haut commissaire britannique, homme intègre, et lui avais dit que j’allais entreprendre des discussions avec les dirigeants arabes ; de plus, je lui avais demandé si le gouvernement de Sa Majesté allait approuver l’accord qui interviendrait entre Juifs et Arabes. Il m’avait répondu : « Je n’ai jamais soulevé le problème avec le gouvernement, et ne puis donc répondre en son nom, mais je connais sa mentalité et suis convaincu qu’il approuva l’accord ». Je dis donc à Abdoul Hadi : « Je vous apporterai la garantie du gouvernement britannique ». Il répondit alors avec dédain : «Vous voulez que je fasse confiance à ces imposteurs ?. J’apporterai la garantie de la Société des nations ». Il réfléchit et dit : « Tous les membres de la Société des nations sont chrétiens, je ne puis croire en leur parole ». Je répondis alors : « Cher Monsieur, Aouni, je ne peux pas vous donner la garantie d’Allah ! ». Ainsi prit fin l’entretien. Des pourparlers principaux eurent lieu avec l’homme de confiance du moufti qui était considéré comme le dirigeant des Arabes de Palestine. Son nom Moussa Alami. D. était l’avocat en chef du gouvernement du mandat, et connu dans le pays comme un homme intègre et loyal. Nos conversations se poursuivirent pendant quelques mois, car il devait rendre compte au moufti et m’apporter à son tour les questions et opinions de ce dernier. Je répondais et posais des questions, et il me rapportait les réponses de son chef. Nos entretiens se basèrent sur les mêmes idées : libération de tous les peuples arabes du joug étranger et leur unification, la transformation de toute la Palestine en État juif, avec des habitants arabes égaux en droits, et l’adhésion de ce nouvel État à la fédération arabe.
Après des explications qui durèrent quelques mois et des discussions menées dans le plus grand secret, nous arrivâmes à un accord basé sur ma proposition, mais le moufti exigea que je rencontre le Comité arabe, syrien-palestinien, qui siégeait alors à Genève auprès de la Société des nations. Dans le cas où le comité accepterait, les rois d’Arabie Saoudite, du Yémen et d’Iraq (l’ Egypte ne faisant pas partie à l’époque des pays arabes) seraient conviés à signer un accord avec le Comité directeur sioniste («Agence juive») et l’affaire serait alors transmise au gouvernement britannique. D’autres entretiens eurent lieu avec Antonius, un Arabe syrien-chrétien, habitant de la Palestine et considéré comme le théoricien du mouvement national arabe, et avec Riad El-Solh, président du Liban, qui approuvèrent les principes que j’avais posés (Riad El-Solh fut assassiné par la suite par un fanatique arabe).
Je partis la même année pour l’Europe, afin d’y rencontrer le Comité arabe à Genève. Le moufti leur avait annoncé ma visite et le sujet des conversations. Le Comité comprenait un vieux Druse, Shéki Arsian, devenu extrémiste arabe, et le Syrien Ihsan Bey El Gabri, beau-père de Moussa Alami. Seul Arsian parla, car il était le président du Comité. Après une courte introduction, il me dit : « Vous voulez avoir une majorité juive en Palestine, et ensuite un État juif ; les Anglais ne vous permettront jamais d’être la majorité. Comment donc voulez-vous que nous, arabes, l’acceptions ? ». Après une discussion autour de ce thème, je vis qu’il ne changerait pas son point de vue, et nous nous séparâmes. Le jeune membre du Comité m’accompagna à la gare. Lorsque je sortis de sa maison, Arsian me dit : « Ce n’est pas notre dernier mot, nous en reparlerons. » Il exigea que toute conversation future fût secrète.
En rentrant à Jérusalem après un séjour de quelques semaines en Europe, j’y trouvai « La Nation arabe », revue publiée en français par le Comité, dans laquelle était rapportée notre conversation avec quelques distorsions. Moussa Alami, qui était, et est encore, un homme intègre, fut confus en me revoyant, bien que je lui expliquais que je comprenais fort bien que son beau-père n’était pas mêlé à cette publication.
Entre temps, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement britannique changea sa politique, et après des entretiens à Londres avec les Arabes et les Juifs en 1939, il publia le « Livre Blanc », dont le contenu était en fait l’annulation des engagements du mandat, l’interruption de l’immigration juive et la promesse d’établir dix ans plus tard un État indépendant en Palestine. Dix ans ne s’écoulèrent pas car la guerre survint qui vit l’extermination de ces six millions de Juifs qui avaient, plus que tout le monde, besoin d’un pays juif, et qui pouvaient et désiraient le construire. Malgré la publication du Livre Blanc, Winston Churchill demeura un ami du peuple juif, fidèle à la déclaration Balfour, mais il ne fut pas réélu après la guerre. Le Parti travailliste obtint pour la première fois une majorité absolue et forma le gouvernement. Ce parti était, on le savait, en faveur d’un État juif, et, à la fin de 1944, il décida qu’immédiatement après la guerre, cet État serait fondé des deux côtés du Jourdain et que tous les Arabes de Palestine seraient transférés dans les pays arabes, lesquels recevraient eux aussi une indépendance totale. Cette demande de transfert des Arabes de Palestine ne fut jamais mentionnée par le mouvement sioniste.
Ce qui arriva après la guerre est connu : Bevin et Attlee refusèrent de mettre à exécution la décision de leur parti, et soumirent le problème de la Palestine à l’Organisation des Nations Unies. En mai 1947, l’O.N.U. en discuta et l’Assemblée fut surprise par les propos de Gromyko, représentant de l’U. R. S. S., qui exigea la création d’un État juif en Palestine, le peuple juif ayant le droit d’avoir une patrie, dans son pays historique.
Une Commission, élue pour examiner le problème, soumit deux propositions : toute la Commission proposa d’abolir le mandat britannique le plus rapidement possible. Une minorité des membres demanda ensuite la création d’un État fédéral juif-arabe, et la majorité suggéra un partage et la création de deux États en Palestine occidentale : Un État juif comprenant le Néguev, et un État arabe à l’ouest du Jourdain économiquement lié à l’État juif. Quant à Jérusalem, elle serait un Corpus Separatus internationalisé, les Juifs de la ville demeurant citoyens de l’État juif, et les Arabes, de l’État arabe.
Nous acceptâmes à une grande majorité la décision de la Commission, bien que l’exclusion de Jérusalem nous ait causé beaucoup de peine. Si les Arabes eux, avaient accepté la décision de l’Assemblée de l’O.N.U., où 33 États (soit plus des deux tiers) dont la Russie, les États-Unis d’Amérique et laFrance, l’Angleterre s’étant abstenue votèrent en faveur de la proposition, le problème serait résolu et nous aurions eu la paix au Moyen-Orient. Mais ils annoncèrent qu’ils n’approuvaient pas la décision et qu’ils s’y opposeraient même par la force. Le lendemain du 29 novembre 1947, les attaques arabes contre les Juifs de Palestine commencèrent et se multiplièrent rapidement, car les Syriens et les Iraquiens (et quelques Egyptiens, membres de l’Association des frères musulmans) se joignirent aux bandes palestiniennes.
Quelque cent mille soldats anglais se trouvaient alors dans le pays et il leur était facile de maintenir le calme, mais le Parti travailliste avec son Premier ministre, Clément Attlee, et son ministre des Affaires étrangères, Ernest Bevin s’opposa de toutes ses forces à l’État juif, ne défendit ni l’ordre ni la tranquillité dans le pays, et n’empêcha pas les troubles des Arabes.
La population juive se défendit avec l’aide de l’organisation de la « Haganah », mouvement clandestin qui, dans l’ensemble, maîtrisa les bandes arabes, jusqu’au moment où la Légion arabe (armée jordanienne) se joignit ouvertement à ces bandes ; quatre villages juifs près de Hébron furent détruits et la plupart des habitants furent assassinés. Partout ailleurs, la Haganah avait le dessus et, après ses victoires à Haïfa, Tibériade, Safed et dans la nouvelle ville de Jérusalem, elle annonça aux arabes que s’ils lui rendaient les armes, ils pourraient rester à leurs places et jouir de tous les droits comme les Juifs. La majorité des comités arabes acceptèrent, mais d’autres proposèrent de s’en référer au Comité suprême arabe qui n’était pas dans le pays (car ses membres avaient fui après le meurtre d’un haut fonctionnaire britannique). Le Comité, dont la personnalité dominante était le moufti de Jérusalem, leur conseilla de ne pas rendre les armes, mais de quitter temporairement le pays, car, après le départ des troupes britanniques au pays dans les deux ou trois semaines suivantes, cinq pays arabes. Egypte, Syrie, Jordanie,Liban et Iraq envahiraient Israël, y extermineraient les Juifs en dix à quatorze jours, et tous les Arabes reviendraient non seulement dans leurs foyers, mais encore, s’ils le désiraient, dans les maisons juives. Les Arabes quittèrent tous Safed, Beth-Shéan, Tibériade ; une partie resta à Jaffa et quatre mille demeurèrent à Haïfa. Et j’en arrive ainsi à ce que l’on appelle le problème des réfugiés. Après la création de l’État d’Israël, le 14 mai 1948, aucun arabe n’a été expulsé, seuls quelques individus partirent pour l’Amérique. Ceux que l’on dénomme « réfugiés » quittèrent le pays à l’époque du mandat britannique. Ils commencèrent à partir deux jours après la décision de l’ONU, le 29 novembre 1947. De nombreux arabes passèrent dans les pays arabes : Les riches au Liban et en Syrie. Lorsque la lutte s’aggrava dans les villes, les Arabes furent priés par leurs voisins juifs et la Haganah de rester, mais ils se conformèrent aux ordres du moufti d’ Egypte, et presque tous quittèrent. Le nouvel État juif ouvrit ses portes aux immigrants juifs, et, en quatre ans, 700 000 Juifs arrivèrent, dont 500 000 venant des pays arabes (Iraq, Yémen, Maroc, Libye, Egypte, Tunisie, Syrie etLiban), et s’installèrent dans l’ensemble dans les villages, les quartiers et villes abandonnés Jaffa, Haïfa, Tibériade, Beth-Shéan, Safed. Au cours des attaques arabes qui suivirent la décision de l’O.N.U., des centaines de Juifs furent assassinés, mais aucun Juif ne s’enfuit. Seuls les 400 000 Arabes partirent. Les réfugiés juifs venus des pays arabes furent tous spoliés dans leurs pays d’origine, et jusqu’à ce jour, leurs biens sont confisqués ou distribués aux arabes. L’État d’Israël, né le 14 mai 1948, n’est absolument pas responsable pour la fuite des Arabes, et malgré ceci, nous avons reçu près de 40 000 réfugiés qui s’étaient enfuis, pas à cause de nous, dans le cadre de l’opération de la réunion des familles. Nous avons accueilli un plus grand nombre encore de réfugiés juifs, forcés de laisser tous leurs biens dans les pays arabes. Nous n’avions pas de logements, de nourriture, de travail à leur offrir, et nous avons fait des efforts surhumains pour les intégrer dans la vie du pays. Nous avons même été obligés d’imposer un régime d’austérité sévère au cours des dix premières années de l’État, tandis que les pays arabes ne voulurent faire aucun effort pour aider leurs frères venus se réfugier chez eux lors du mandat britannique en Palestine. Les dirigeants arabes apprirent à exploiter ces réfugiés comme arme contre le peuple en Israël. Vous avez, mon cher Général, employé dans votre discours des expressions surprenantes, dures et blessantes, basées sur des renseignements incorrects ou imprécis.
Vous avez parlé de l’établissement d’un foyer « sioniste » entre les deux guerres mondiales : « Peuple élu, sûr de lui et dominateur, changement d’une aspiration sincère (l’an prochain à Jérusalem) en ambition ardente et conquérante, manque de modestie, État d’Israël guerrier et désirant s’étendre, rêve de ceux qui veulent exploiter la fermeture du détroit de Tiran, etc. »
*Permettez-moi de vous faire part avant tout d’un fait non encore admis dans le monde pour de nombreuses raisons historiques et religieuses, mais cette conviction domine tout ce que nous avons fait et ferons : nous sommes pareils à tous les peuples, égaux en droits et en devoirs. Nous sommes un petit peuple, dont la majorité ne vit pas dans son pays, mais les autres vivent dans leur pays, non pas parce qu’ils ont occupé, pillé, ravi quoi que ce soit à d’autres, mais parce que nous avons trouvé ici notre pays abandonné, pas absolument dépeuplé, mais désertique ; nous avons fait fleurir les déserts à la sueur de notre front, par notre travail, obstiné et pionnier ; nous n’avons pas ravi les lopins de terre à ceux qui les travaillaient, mais nous avons fait reverdir les étendues désertiques. A l’endroit même où s’élève aujourd’hui la plus grande ville d’Israël Tel-Aviv il y avait, à l’époque de mon arrivée, des dunes de sable, sans arbre, sans gazon, sans aucun être vivant, bien qu’il y ait à proximité un petit fleuve qui, maintenant, irrigue le kibboutz dans le Néguev, à 50 kilomètres au sud de Beer-Shéva, où je vis. J’ai travaillé comme ouvrier salarié, il y a cinquante-neuf ans, dans un véritable désert dépeuplé, où une vingtaine de bédouins vivaient de la chasse avec une grande difficulté, et aujourd’hui, ce même désert est devenu un kibboutz où travaillent 500 adultes et des centaines d’enfants : c’est l’un des plus beaux kibboutzim de la vallée du Jourdain, appelé Kinéreth, comme le lac voisin.
Ce n’est pas par la force, ni même uniquement avec de l’argent, et certainement pas par des conquêtes, mais c’est par notre création pionnière que nous avons transformé une terre pauvre et aride en un sol fertile, créé des agglomérations, villes et villages, sur des surfaces désertiques et abandonnées.
Je n’ai pas honte du nom « sioniste », mais l’Angleterre nous avait promis, avec l’accord de la France, un Foyer national et non sioniste. Sion est l’un des lieux saints qui nous est cher, à Jérusalem ville de David, mais sioniste s’applique aux membres du mouvement qui aspiraient à revenir à Sion pour y être à nouveau un peuple normal, indépendant, enraciné dans sa patrie comme la majorité sinon tous des peuples. La déclaration de Balfour, approuvée par la suite par le gouvernement français, nous promettait le « renouvellement » (reconstitution) de notre pays national, qui était demeuré nôtre en dépit de notre expulsion par la force des occupants étrangers et cruels ; à aucun moment, pendant deux mille ans, nous n’avons cessé de prier pour retourner dans notre patrie, et dans aucun pays où nous vécûmes jusqu’à la Révolution française, nous n’avions, ni nous, ni les peuples de ces pays, reconnu qu’ils étaient nôtres. Après la Révolution française, les Juifs devinrent égaux en droits. C’est là l’un des plus grands actes des Français, que nous n’oublierons jamais. Mais l’homme qui, voici soixante-dix ans, eut la vision d’un État juif qui fascina la majorité de son peuple, le Dr Théodore Herzl, en est arrivé là à la suite du procès de Dreyfus et des mouvements antisémites qui ont suivi. Je redis ici : nous n’oublierons jamais l’héroïsme moral des hommes tels que le colonel Picard, Clemenceau, Zola, Jaurès et autres, qui luttèrent pour la justice avec obstination et courage, et qui eurent gain de cause. Mais cette haine, mise à jour à la fin du XIXe siècle, apparaît ici et là, et nous Juifs, en tant qu’êtres humains, nous nous voyons égaux en droits à tous les hommes ; nous considérons que nous avons les mêmes droits que tous les peuples libres et indépendants, et nous osons penser que nous les méritons, sans aucune faveur spéciale.
Je sais que pendant des centaines d’années le monde chrétien était convaincu que le peuple juif avait cessé d’exister il y a deux mille ans, et je sais aussi qu’il y a des Juifs qui pensent de la même manière ; nous avons pitié de ces Juifs, mais nous ne sommes pas fâchés contre eux s’ils veulent cesser d’être juifs, c’est leur affaire personnelle. Mais ils ne parlent pas en notre nom, tout comme ce n’était pas Pétain qui parlait au nom de la France, mais bien Charles de Gaulle qui était, à l’époque, isolé et solitaire. J’ai lu des propos diffamatoires sur mon peuple, venant précisément d’un grand Juif Karl Marx que j’estime sans toutefois accepter sa théorie.
Mais je sais apprécier la grandeur d’un homme qui a un sens profond de l’Histoire, et qui essaie, avec toute la force de son génie, d’agir en faveur d’une société juste et plus saine.
Nous ne sommes pas un peuple « dominateur ». Je sais qu’il existe dans mon peuple des exceptions dont les devises et les arguments sont étrangers à la plus grande partie du peuple juif et à sa tradition sainte. Mais j’ai occupé pendant quinze ans un poste de responsabilité dans le mouvement sioniste et au sein de la population juive en Palestine, et pendant quinze autres années j’ai été Premier ministre et ministre de la Défense de l’État d’Israël, et je connais l’ardent désir de paix de mon pays, paix avec nos voisins et entre tous les peuples. Au cours de toutes ces années, je ne travaillais pas seul, je devais convaincre la majorité de mes camarades et de mon peuple que la voie que je choisissais était la bonne, la plus droite et la plus juste, et, en général, je réussissais. Quelques jours avant la déclaration de notre indépendance, la question s’était posée de savoir s’il fallait y mentionner les frontières de l’État. Deux avocats du gouvernement provisoire prétendaient que la loi oblige de marquer les frontières. Je m’y opposai, car il n’y avait pas, à mon avis, une loi pareille.
Ainsi, l’Amérique, par exemple, ne mentionna aucune frontière dans sa déclaration d’indépendance. De plus, et c’était là le principal je dis : si les Arabes avaient accepté les frontières fixées par l’Assemblée de l’O.N.U. le 29 novembre 1947, personne d’entre nous n’aurait objecté à ces frontières, bien que selon moi, la grande partie de ces lignes n’étaient pas justes, surtout l’exclusion de Jérusalem de l’État et son internationalisation, chose qui ne s’était faite nulle part ailleurs ; et vous, mon cher Général, vous avez dit avec émotion dans vos propos : « La touchante prière répétée pendant 1900 ans, l’an prochain à Jérusalem ». Nous n’avons pas échangé ce vœu contre une ambition ardente et conquérante, mais nous avons dit : si les Arabes avaient accepté comme nous la résolution de l’O.N.U., le problème des frontières ne se serait jamais posé. Nous avions accepté avec joie, mêlée de tristesse, les décisions adoptées, mais les Arabes annoncèrent qu’ils combattraient cette résolution et anéantiraient l’État dont nous devions annoncer l’établissement trois jours plus tard. Ils commencèrent la guerre contre nous même avant la déclaration de l’indépendance, et l’O.N.U. ne s’y opposa pas et ne les obligea pas à accepter la résolution. Dans ces conditions, nous pouvions nous aussi ne pas accepter la résolution de l’O.N.U. qui ne s’applique ainsi qu’à l’une des parties. Et si nous pouvons étendre nos frontières et libérer Jérusalem dans une guerre ouverte par les Arabes contre nous, nous libérerons Jérusalem et la Galilée occidentale et elles feront partie de notre État.
Personne d’entre nous n’a proposé d’occuper des territoires supplémentaires avant la guerre qui a débuté deux jours après la résolution de l’Assemblée de l’O.N.U., par une attaque sur notre centre commercial à Jérusalem, et l’armée britannique ne nous permit même pas de nous défendre. Nous n’étions pas forcés d’accepter deux poids et deux mesures pour les Arabes et nous. Si l’O.N.U. n’existe pas, et si les Arabes peuvent faire selon leur volonté, nous sommes également libres. Nos liens avec Jérusalem ont précédé ceux de tous les êtres ou de toutes les religions existant au sein de l’humanité.
Le 14 mai 1948, je déclarai la création de l’État juif dont le nom serait Israël, conformément au texte que j’avais fixé durant la nuit précédant la déclaration, et que le Conseil provisoire de l’État avait approuvé au matin du vendredi 14 mai, six heures avant l’annonce officielle. Il est dit dans cette dernière : « Nous faisons appel, même au milieu des attaques sanglantes qui nous harcèlent depuis de longs mois, aux arabes habitant l’État d’Israël de préserver la paix et de prendre part à la construction de l’État sur base d’une citoyenneté totale et égale, et de représentation dans toutes les institutions, provisoires et permanentes, et j’ajoutai : « Nous tendons une main de paix et de bon voisinage à tous les États voisins et à leurs peuples, et faisons appel à eux pour une coopération et une assistance mutuelle avec le peuple juif, indépendant dans son pays. L’État d’Israël est prêt à contribuer à l’effort commun en vue du progrès de tout leMoyen-Orient ». Chaque mot de cet appel, mon cher Général, venait du cœur, de notre cœur à tous, et tous les partis en Israël, du parti communiste à gauche au parti religieux Agoudat Israël à droite, des socialistes de gauche aux révisionnistes de droite, signèrent cette déclaration. Si notre appel avait été entendu, et si les peuples arabes avaient agi conformément aux résolutions et à la charte de l’O.N.U.il n’y aurait eu jusqu’à ce jour, aucune guerre ni aucune querelle entre nous et les Arabes, et personne d’entre nous n’avait d’ambition « conquérante » pour occuper les territoires au-delà des frontières fixées par l’O.N.U., car la paix pour nous prime tout. Mais la paix est à double sens ou alors elle n’est que fiction.
Nous n’aurions pas dû perdre 6 000 de nos meilleurs jeunes gens dans la Guerre d’indépendance, imposée à nous huit heures après la déclaration de notre indépendance par cinq armées arabes d’Egypte, de Jordanie, de Syrie, du Liban et d’Iraq, au cours de laquelle nous combattions à un contre quarante, la Campagne du Sinaï et la Guerre des Six Jours n’auraient pas eu lieu, si la résolution de l’O.N.U. avait été adoptée par les Arabes, et si ces derniers n’avaient pas tenté par la force de l’abolir. Aucun de nous n’aurait songé à attaquer nos voisins dans le but de changer nos frontières et d’étendre notre pays. J’ai déclaré à plus d’une reprise et c’était là notre opinion à tous que nous sommes prêts à signer un accord de paix pour les cent années à venir sur base du statu quo. Parmi les membres de notre droite, certains réclamaient « la totalité du pays », mais même eux ne proposèrent jamais de faire la guerre pour nous étendre, et ceci en dépit du fait que le monde entier en tout cas le monde chrétien et tout le monde juif considérait que les deux rives du Jourdain formaient une seule et même Palestine, et espérait qu’elle serait à nouveau la patrie des Juifs promise par la Bible et les Prophètes. La Genèse (12:7) dit : « L’Eternel apparut à Abraham et dit : Je donnerai ce pays à la postérité », et dans Deutéronome (30:3-5) : « Alors l’Eternel, ton Dieu, ramènera tes captifs et aura compassion de toi, il te rassemblera encore du milieu de tous les peuples chez lesquels l’Eternel, ton Dieu, t’aura dispersé. Quand tu serais exilé à l’autre extrémité du ciel, l’Eternel, ton Dieu, te rassemblera de là, et c’est là qu’il t’ira chercher L’Eternel, ton Dieu, te ramènera dans le pays que possédaient tes pères, et tu le posséderas ». Cette idée revient chez les Prophètes, Isaïe 56:8, Jérémie 29:4, Ezéchiel 11:17, Néchémie 1:9. C’était là l’intention de la Déclaration Balfour, approuvée par la France, et de la décision de la Société des Nations, mais l’Assemblée de l’O.N.U. en décida autrement, et nous avons accepté ; nous serions restés fidèles à sa résolution si les Arabes l’avaient suivie, et respecté la paix.
Il est vrai que pendant des millénaires, nous avions cru aux visions de nos Prophètes, et il en est parmi nous qui croient en la venue du Messie qui regroupera tous les Juifs du monde entier morts et vivants en Terre Sainte, mais nous n’avions aucune « ambition ardente et conquérante », mais bien plutôt une foi ardente en la vision de paix de nos Prophètes : « Une nation ne tirera plus l’épée contre une autre, et l’on n’apprendra plus la guerre. » (Isaïe 2:3, Michée 4:3), car le secret de notre survivance après les deux destructions par les Babyloniens et les Romains, et la haine des Chrétiens qui nous entoura pendant 1600 ans, réside dans nos liens spirituels avec le Livre Saint. Lorsque la Commission Royale Britannique vint à Jérusalem à la fin de 1936 pour y étudier l’avenir du mandat, je lui dis : « Notre mandat à nous, c’est la Bible ». Nous y avions puisé notre force pour résister à un monde ennemi, et persévérer dans la foi en notre retour dans notre pays et en la paix dans le monde.
Je voudrais maintenant vous rappeler, mon Général, notre entretien de juin 1960 à ce sujet, à l’heure du déjeuner dans les jardins de l’Elysée, en présence du président Debré et de mon ami Shimon Pères. Vous m’aviez demandé : « Quels sont vos rêves sur les frontières réelles d’Israël ? Dites-le moi, je n’en parlerai à personne ». Je répondis : « Si vous m’aviez posé la question il y a 25 ans, j’aurais dit que notre frontière septentrionale est le fleuve Litani, et l’orientale, la Transjordanie. C’est sur elles que j’avais basé mes conversations avec les dirigeants arabes. Mais vous me posez la question aujourd’hui. Je vous dirai donc : nous avons deux aspirations principales : la paix avec nos voisins et une grande immigration juive. La surface de la Palestine en notre possession peut absorber beaucoup plus de Juifs que ceux qui sont susceptibles d’y venir. C’est pourquoi nos frontières nous suffisent, pourvu que les Arabes veuillent signer avec nous un traité de paix sur base du statu quo. ». Vous avez ajouté alors : « Quels sont les rapports entre vous et les Juifs d’Amérique ?» « La situation politique, économique et culturelle des Juifs américains est bonne, mais ils ont quand même des liens profonds avec l’État d’Israël. »
Et, après la Campagne du Sinaï, il y a 11 ans, et après la Guerre des Six Jours, je peux vous assurer que ce n’est pas notre désir d’agrandir la surface d’Israël qui a entraîné ces deux guerres. Si l’ Egypte avait tenu ses engagements contenus dans les accords d’armistice et les décisions du Conseil de Sécurité de l’O.N.U. et relatifs à la liberté de navigation dans le Canal de Suez et surtout dans le détroit de Tiran et le golfe d’Akaba, et si les dirigeants égyptiens et syriens n’avaient pas déclaré tous les jours que leur but est d’anéantir Israël, il ne nous serait jamais venu à l’esprit de sortir des frontières fixées par les accords d’armistice. Telle était mon opinion au cours des années, heureusement partagée par la grande majorité de mon peuple, et même de ceux qui préconisaient « la totalité du pays ».
Je sais que le gouvernement français de la IVe République et vous aussi mon Général, avez établi votre ambassade, comme d’autres pays d’Europe, les États-Unis et l’U.R.S.S., à Tel-Aviv, mais toutes les entrevues avec les ambassadeurs se sont déroulées à Jérusalem ; aucune protestation venant de l’O.N.U. ou de ses membres ne m’est parvenue sur le fait que le gouvernement jordanien ait occupé la vieille ville de Jérusalem en 1948, chassé tous les Juifs, détruit les synagogues et fermé nos routes vers les Lieux Saints, contrairement aux accords d’armistice. Personne n’a protesté. Nous n’avons jamais porté atteinte aux églises et aux mosquées se trouvant dans notre pays, et nous n’y voyons aucun mérite particulier, mais bien plutôt une obligation humaine et le respect des religions étrangères.
Je ne suis maintenant que l’un des citoyens de notre État. Après avoir été pendant quinze ans Premier ministre et ministre de la Défense, j’ai pensé qu’il valait mieux céder le pouvoir aux plus jeunes que moi, et je m’occupe de rédiger notre histoire depuis 1870, date de la création de l’école agricole « Mikveh Israël » (Espoir d’Israël ou Réunion d’Israël), première base du renouvellement de l’État d’Israël.
Je connais la mentalité de notre peuple, tant en Israël qu’à l’étranger, et je sais que mon peuple pas moins que les autres est pieux et fidèle à la vision de la paix dans le monde que les Prophètes d’Israël ont été les premiers dans l’histoire de l’humanité à avoir. Et si les grandes puissances pouvaient influencer les peuples arabes, influence qu’elles peuvent avoir car les Arabes ont besoin d’armements de l’étranger, et ne pourront, pendant longtemps encore, les produire eux-mêmes, de maintenir la paix au Moyen-Orient, je suis convaincu que la paix ne sera jamais troublée en Israël. Ayant été Premier ministre à l’époque de la Ve République, je sais que les relations amicales avec la France, depuis la renaissance de l’État d’Israël, se sont poursuivies même sous la Ve République, et je n’avais aucun besoin de m’attendre à une amitié plus fidèle et plus sincère que la vôtre.
Je ne vois dans vos bons rapports amicaux avec les pays arabes, aucun obstacle à la continuation de l’amitié avec Israël. Et même si les dirigeants arabes continuent à nous menacer de destruction, comme par le passé, je ne conseillerais à aucune nation de rompre ses relations avec les pays arabes, car si nous devons nous défendre, je ne voudrais pas que d’autres que nos propres fils meurent pour nous défendre. Ce que j’aurais demandé à nos amis, c’est de ne pas nous empêcher de recevoir l’aide nécessaire pour maintenir notre force de dissuasion, susceptible de prévenir la guerre.
Je vous prie de bien vouloir excuser la longueur de ma lettre.
J’ai éprouvé une obligation, en raison de votre amitié et de votre aide à Israël, et de votre amitié personnelle exprimée même lors de notre dernier entretien, de vous exposer notre position réelle face aux problèmes internationaux.
Nous sommes convaincus que le peuple juif est égal en droits et en devoirs à tous les autres peuples, ni plus ni moins.
Pour ce qui est du peuple élu, la Bible dit : « Aujourd’hui, tu as fait promettre à l’Eternel qu’il sera ton Dieu, afin que tu marches dans ses voies, que tu observes ses lois, ses commandements et ses ordonnances, et que tu obéisses à sa voix. Et aujourd’hui, l’Eternel t’a fait promettre que tu seras un peuple qui lui appartiendra comme il te l’a dit. » (Deutéronome, 26 :17-18). Le peuple juif était le premier au monde à être monothéiste, c’est pourquoi il était un peuple élu. Dans le Livre de Josué(24 :22-25), il est dit : « Josué dit au peuple : Vous êtes témoins contre vous-mêmes que c’est vous qui avez choisi l’Eternel pour le servir. Ils répondirent : Nous en sommes témoins…
Josué fit en ce jour une alliance avec le peuple, et lui donna des lois et des ordonnances, à Sichem ». Les Sages d’Israël dirent plus tard : « Dieu demanda à tous les peuples de recevoir sa loi, et lorsqu’ils refusèrent, il s’adressa à Israël qui répondit : nous le ferons. »
Ce n’est pas Dieu, selon notre foi, qui choisit Israël, mais Israël qui choisit Dieu. Telle est la vérité historique connue de tout chrétien et de tout musulman dans le monde. Le Grec ne doit pas avoir honte que son peuple ait, il y a 2400-2600 ans, devancé tous les autres en faisant ses découvertes scientifiques et philosophiques.
Et nous, non plus.
Mais notre peuple ne pense pas qu’il est supérieur à tous les autres. Nous sommes naturellement fiers que ce soit notre Bible qui ait dit pour la première fois : « Tu aimeras ton prochain comme toi même », et plus loin (Lévitique 19 :18, 33-34) : « Si un étranger vient séjourner avec vous dans votre pays, vous ne l’opprimerez point. Vous traiterez l’étranger en séjour parmi vous comme un indigène au milieu de vous ; vous l’aimerez comme vous-mêmes, car vous avez été ét rangers dans le pays d’Égypte. Je suis l’Eternel, votre Dieu. » Une loi pareille n’existait même pas dans l’Athènes de Périclès, de Socrate et de Platon.
Et, tout en désirant ardemment que tous les Juifs qui veulent venir vivre ici, en tant que Juifs égaux en droits et obligations à tous les autres hommes, puissent le faire, nous étions fidèles et le demeurerons à tout jamais, aux idéaux de paix, de fraternité humaine, de justice et de vérité, comme nous l’avaient ordonné nos Prophètes.
Permettez-moi de vous exprimer ici mon estime et mes remerciements les plus vifs pour tout ce que votre grand peuple a accompli au cours des deux derniers siècles en faveur de la valeur humaine etde la liberté des peuples, et ma fidèle estime à vous, mon cher Général, pour tout ce que vous avez fait pour relever le nom, l’honneur et la position de votre pays et pour votre assistance et votre a mitié vraie à l’égard du peuple juif dans son pays.
Et je voudrais ajouter ici mon espoir que les liens amicaux entre la France et Israël – en tant que partie des liens amicaux entre tous les pays – continueront à exister avec votre aide et celle de tous les peuples et les hommes fidèles aux idéaux du Livre des Livres.
Veuillez accepter. Monsieur le Président, mes vœux les meilleurs pour la réussite de votre haute mission.
D. Ben Gourion.
David Ben Gourion – 6 décembre 1967
© Ministère des Affaires étrangères.
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