Quand les chefs sont médiocres (info # 010902/15)[Analyse]
Par Jean Tsadik © MetulaNewsAgency
Le ministre iranien des Affaires Etrangères Mohammad Javad Zarif et John Kerry se sont entretenus en particulier à deux reprises en marge de la conférence sur la sécurité qui s’est tenue dans la ville de Munich le week-end dernier.
Les Européens n’ont pas été conviés à ces discussions, ce qui a provoqué leur mécontentement et leurs inquiétudes. Au point que certains diplomates de pays membres de l’UE ont alerté les Israéliens de ce qui se tramait.
Le cadre actuellement admis pour les discussions avec Téhéran mentionne le 1er juin comme date ultime pour la signature d’un accord définitif. Celui-ci est censé régenter l’activité nucléaire des Perses en échange de la levée des sanctions économiques qui privent la théocratie chiite d’une partie de ses avoirs retenus dans des banques occidentales, et de ses revenus courants.
Les 5+1 ont cependant convenu du 31 mars prochain pour s’accorder avec les Iraniens sur les lignes forces de l’entente, et du mois de mai, pour la rédaction de ses détails. Ce calendrier croise celui des élections législatives générales pour la XXème Knesset, qui se tiendront le 17 mars, ainsi que l’intervention préalable du 1er ministre hébreu Binyamin Netanyahu, le 3 mars, devant les deux chambres réunies du Congrès U.S, à l’invitation du Président de la Chambre des Représentants, le Républicain John Boehner.
Or selon des fuites concordantes, dont des révélations faites directement à la rédaction de la Ména par un diplomate, le Président Obama s’apprêterait à faire des concessions majeures aux ayatollahs, de même qu’à inclure dans le document final des paramètres de coopération stratégique.
Sans entrer dans les nuances, ce que nous avons déjà maintes fois fait dans ces colonnes, l’Administration Obama serait disposée à laisser en activité pas moins de 6 500 centrifugeuses en Iran, en échange de l’engagement de la théocratie chiite de maintenir le taux d’enrichissement de l’uranium à un niveau ne lui permettant pas immédiatement de confectionner des bombes atomiques.
En revanche, Téhéran pourrait, à tout moment, en rompant l’hypothétique accord, enrichir ses stocks existants à 90 pour cent et plus de pureté, ce qui lui permettrait, en quelques mois, de disposer de suffisamment de minerai compatible à la fabrication d’armes atomiques.
Le compromis, tel qu’il nous a été présenté, ferait assurément de l’Iran un Etat "au seuil de la production de bombes atomiques", en cela que le Président Obama n’exigerait plus la destruction des outils de production, mais uniquement leur utilisation "au ralenti".
Ce qui irrite les Européens, mais révulse les Israéliens, les Saoudiens et les autres grands pays sunnites du Moyen-Orient, outre la situation sécuritaire incertaine qui se dessine, est, qu’en échange de concessions de la part de Khamenei, qui n’en sont pas vraiment, les 5+1 accepteraient de lever les sanctions, et non plus de façon graduelle sur plusieurs années, mais en l’espace de quelques mois.
L’accord qui se profile permettrait non seulement à l’Iran de s’enrichir brutalement et de réintégrer le giron des nations fréquentables, mais il en ferait un partenaire de l’Amérique – ce qui le consacrerait dans une dimension de puissance régionale – dans ce que le Département d’Etat de John Kerry appelle pudiquement une tentative de sécuriser la région.
En fait, Washington s’appuierait sur Téhéran afin de contenir les sunnites en Irak et en Syrie. Les Etasuniens autoriseraient ainsi Khamenei à faire des chiites irakiens la puissance principale à Bagdad, à maintenir en place le régime al Assad à Damas, au détriment d’ISIS, certes, mais aussi de la rébellion non-islamiste. D’autre part, le Président Obama semble disposé à ce que les supplétifs des Perses au Liban persistent à tenir le reste des habitants du pays aux cèdres en joue, en leur imposant leur volonté.
En contrepartie de cette alliance – on peut carrément parler d’alliance à ce stade –, Washington recevrait des promesses inquantifiables et incontrôlables de Téhéran de ne pas s’attaquer à Israël, aux sunnites modérés en Irak et en Syrie, à l’Arabie Saoudite, à la Jordanie et aux pays du Golfe, et de ne pas prendre le pouvoir par la force à Beyrouth.
Plus inquiétant encore : Washington, probablement pour convaincre les ayatollahs de sa bonne foi, a déjà mis unilatéralement son projet d’ "intégration de l’Iran" en marche ; on le remarque sur le terrain par des actes tangibles : premièrement, depuis le début de l’intervention de la coalition internationale chapeautée par les USA, en Irak et en Syrie, celle-ci n’a jamais frappé l’Armée d’al Assad, les Pasdaran ou les Hezbollanis, bien que ceux-ci sont officiellement les ennemis de l’Occident, des organisations référencées comme terroristes et/ou accusées de crimes de guerre, et qu’ils affrontent les alliés actuels de l’Amérique, que Washington arme et entraîne, au sein de l’Armée Syrienne Libre.
Deuxièmement, la Ména a formellement identifié sur des films de propagande du Hezbollah chiite libanais inféodé à Téhéran, tournés en Syrie, des chars d’assaut américains neufs au service de cette milice, qui venaient d’être livrés au gouvernement chiite de Bagdad dans le but avoué de défaire l’Etat Islamique en Irak !
Or, à Métula, nous n’avons pas entendu la moindre protestation de Washington, pas plus que le plus subtil déni. Savoir que ces armes lourdes et coûteuses servent dans les rangs des ennemis avoués des Etats-Unis ne fait plus sursauter sur les rives du Potomac. Ce, alors que ces informations surgissent au moment où la CIA affirme avoir participé avec le Mossad, en 2008, à la neutralisation d’Imad Mournieh, le chef militaire du Hezb, à Damas.
C’était compréhensible : 25 ans plus tôt, à Beyrouth, Mournieh avait assassiné 241 Marines dans le complexe de l’Aéroport International de la capitale libanaise, au cours d’un attentat au camion piégé.
Les services de renseignement jouent, ces jours, d’étranges tours à leurs gouvernements… Pendant que la CIA réglait ses comptes avec le Hezb, compliquant la "nouvelle politique" recherchée par Barack Obama, le Mossad faisait explicitement savoir que le décret de sanctions additionnelles contre l’Iran par le Congrès U.S ferait instantanément exploser les négociations et augmenteraient le danger de la nucléarisation militaire de la "République" Islamique.
Ces "fuites" laissent clairement transparaître que les "services" hébreux préfèrent un médiocre arrangement avec Khamenei à un Iran en marge de la communauté des nations, poursuivant son projet nucléaire à la barbe de ladite communauté.
Ce qui peut cependant choquer, c’est que Binyamin Netanyahu prend simultanément le risque d’une fracture totale avec la Maison Blanche en se présentant devant le Congrès pour expliquer aux sénateurs et aux représentants ce que nous énonçons dans cette analyse. Pour les prier de ne pas entériner le projet d’accord avec l’Iran que le pensionnaire de la White House ne manquera pas de leur soumettre, et, au contraire, de ne pas hésiter à édicter sans attendre de nouvelles sanctions afin de torpiller l’étape du 31 mars.
Sûr qu’Obama craint la venue de Netanyahu et fait donner toute son artillerie diplomatique pour empêcher qu’elle ne se déroule : refus de rencontrer le président du conseil de l’Etat hébreu, menaces directes sur la coopération USA-Israël, absence annoncée de députés Démocrates durant le discours du 1er ministre, interventions successives de députés américains pro-israéliens et israélites auprès de Netanyahu pour le convaincre de rester à Jérusalem, affirmation publique de l’Administration selon laquelle cette présentation au Parlement allait fausser le résultat des législatives israéliennes (en faisant de la publicité pour Netanyahu), autre affirmation d’après laquelle Bibi se soucie plus de son avenir politique que de celui d’Israël, qu’il est prêt à sacrifier sur l’autel de son ambition personnelle, accusation d’ingérence dans la politique intérieure américaine… Tout y passe.
Parlant d’ingérence, trois remarques me viennent à l’esprit : 1. Le projet nucléaire ne participe pas d’un problème domestique américain ou israélien. 2. Le Parlement U.S est la seule instance capable d’empêcher la signature d’un accord potentiellement dangereux pour l’ensemble du monde civilisé. 3. Barack Obama ne se gêne pas pour intervenir grossièrement dans le déroulement des législatives israéliennes, en faisant parvenir de l’argent aux opposants de l’actuel 1er ministre ainsi qu’en envoyant ses propres conseillers en communication dans le même objectif.
Le pensionnaire de la Maison Blanche n’a d’ailleurs jamais hésité à se mêler des affaires domestiques d’autres Etats, prenant une participation prépondérante, par exemple, dans la chute du régime d’Hosni Moubarak lors du "printemps" égyptien. On peut tout de même remarquer que, dans le cas présent, on a tout de même affaire à un processus électoral se déroulant dans un pays authentiquement démocratique.
Le dossier de Bibi Netanyahu dans ce contexte n’est pas non plus blanc comme neige. Le 1er ministre feint d’oublier que dans le système politique américain, les prérogatives du président sont énormes, que c’est lui seul (ou presque) qui décide de la politique des Etats-Unis, et qu’il en sera ainsi jusqu’en automne 2016.
Or le chef du gouvernement hébreu use de méthodes manipulatrices extrêmes pour se faire entendre devant le Congrès, ne reculant devant aucun expédiant. Il mène de fait un combat quasi personnel qui l’oppose à Barack Obama, exposant Israël à des représailles d’une portée considérable. Il faudrait un article entier pour évoquer la dépendance de l’Etat hébreu à l’aide qu’il reçoit de son allié privilégié d’outre-Atlantique, mais il suffit de mentionner à nouveau que tous les appareils du Khe’l Avir sont d’origine américaine, et qu’en le privant de pièces de rechange indispensables (ou en en ralentissant le flux), le président américain possède la capacité de le clouer au sol. Idem pour le Dôme de fer, dont l’essentiel du financement provient des USA, ainsi que la totalité des missiles.
Il est également adéquat d’observer que l’Amérique a elle aussi grandement besoin des développements réalisés par les ingénieurs israéliens ; l’Etat hébreu remplit dans ce sens un rôle qui s’apparente de plus en plus à celui d’incubateur technologique de l’armement US, mais nous, de préciser aussitôt que si on peut se passer un moment d’incubateur, un pays entouré d’ennemis ne saurait se passer d’avions.
On peut se demander aussi si la croisade du Chevalier Bibi est totalement exempte d’arrière-pensées électoralistes ? Il est clair qu’en forçant la porte de Washington, juste après avoir poussé celle de la grande manif de Paris, Netanyahu, dont le bilan politique et sécuritaire est pour le moins mitigé, essaie de se faire passer pour le nouveau roi des Juifs, exposant son "courage" à l’électeur en écrasant les barrières de la diplomatie.
Nous, pour tenter honnêtement d’y voir plus clair dans cette guerre de titans, de repenser à la remarque du Mossad, que personne de sensé ne pourrait suspecter de ne pas se soucier de la sécurité des habitants d’Israël. De nous demander si l’unique alternative à l’accord avec l’Iran - qui repousse au moins l’échéance de sa bombe et qui procure à Israël une option militaire de rechange au cas où Téhéran romprait l’accord – n’est pas une guerre immédiate ? Une guerre face à un ennemi industrialisé de plus de soixante-dix millions d’Iraniens, le plus indécis et périlleux sans doute de tous les conflits auxquels Israël s’est trouvé confronté.
Si Obama n’était pas Obama, on pourrait sans doute faire plier Khamenei en durcissant les sanctions et en lui envoyant un ultimatum. Mais Obama est Obama et il est trop tard pour cette option. Ce, d’autant plus que les ayatollahs sont de fins négociateurs qui savent exploiter la moindre faille qu’on leur présente ; or le front affiché par les 5+1 tient plus d’une forteresse en Emmental que de la ligne Siegfried. Ce sont même les Iraniens qui font désormais pression, Ali Khamenei répétant à qui veut l’entendre qu' "il vaut mieux pas d'accord sur le nucléaire qu'un mauvais accord en contradiction avec les intérêts de la nation".
Dans le même concert pour dupes et naïfs, les ayatollahs instillent l’idée que si les choses n’évoluaient pas dans leur sens et à leurs conditions jusqu’au 31 mars, la marionnette Hassan Rohani, qui remplit le titre honorifique de "président" débonnaire, pourrait être évincée et remplacée par les "terribles" Gardiens de la Révolution.
Cela n’adviendra pas car ce serait la meilleure chose qui pourrait arriver à la planète et Khamenei n’est pas du genre à faire des cadeaux.
Difficile de conclure cet article. Impossible de trouver une formule rassurante et globale. On peut alors risquer quelques propositions dont on est sûr et qui permettent à chacun de gérer sa réflexion : les ayatollahs sont déjà un régime au seuil de la bombe atomique, c’est irréversible, et le fait de posséder ou non des centrifugeuses et de l’uranium à trois pour cent procède d’une seule question de temps nécessaire à la fabriquer.
Même si une majorité de représentants et de sénateurs applaudissent Netanyahu debout et votent des sanctions (que Barack Obama aurait le privilège de bloquer), la situation stratégique d’Israël, le 4 mars, sera moins bonne que celle du 2 mars. Si Obama se fâche, elle pourrait devenir franchement désagréable ; pour nous et pour lui, avec un Congrès vexé aux mains des Républicains. On savait que Netanyahu n’était pas un fin stratège, il est en train de nous en administrer une preuve supplémentaire.
Le plus inquiétant dans cette histoire, c’est sans doute l’intention du président américain de transformer l’Iran en puissance régionale. Le fait de craindre plus les dégénérés d’ISIS que Khamenei et ses potentiels atomique et hégémonique démontre qu’Obama ne se situe pas non plus dans la droite lignée de Jules César, d’Alexandre le Grand et de Théodore Roosevelt. C’est peut-être notre malheur : être pris en sandwich entre deux excellents orateurs mais médiocres hommes d’Etat, chez qui l’orgueil l’emporte largement sur le discernement.
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