Les marocains ont su conserver leurs traditions non sans faire sa part de modernité
par Fayçal Marjani Smires
Les marocains ont su conserver leurs traditions non sans faire sa part de modernité. Restés à l'écart de l'hégémonie turque, seuls en Méditerranée avec les Espagnols, les français et les italiens, ils n'ont subi de domination coloniale que pendant quatre décennies. Ce sont là les facteurs qui ont contribué à modeler le visage original de leur nation, une des plus conservatrices dans le monde arabe et probablement celle, avec le Yémen, qui a su garder le mieux les traits fondamentaux de sa personnalité.
Le Maroc, vers l'an mille avant JC devient, dans sa partie septentrionale, le lieu d'établissement de comptoirs phéniciens puis carthaginois. Rome sur-plante Carthage et fait du Nord du Maroc une province romaine. Au III ème siècle, celle-ci progressivement réduite à la frange côtière de la Méditerranée, est totalement christianisée. Plus tard, Byzantins et Wisigoths en font leur domaine.
Les premiers cavaliers arabes surgissent quelques décennies après l'hégire. Leurs raids, avec l'appui de contingents berbères, se poursuivent en Espagne et au-delà. Les tribus berbères n'en regimbent pas moins contre l'emprise de ces nouveaux venus et le pouvoir arabe disparaît pendant un temps avant que s'installent, à la fin du VIII ème siècle, les dynasties arabes des Idrissides puis les Zénètes.
Le XI ème siècle voit le début de deux grandes dynasties, qui établissent un véritable empire bérbéro-hispanique. D'abord venus de Mauritanie, les Almoravides, qui étendent leur autorité jusque sur l'Espagne du Sud. Puis à partir du milieu du XII ème siècle, les Almohades, qui s'étendent jusqu'à Tripoli. Pendant près d'un siècle, l'empire connaît son apogée à la fois intellectuelle et politique.
Au Maroc même, les Européens constituent à partir du XV ème siècle, des enclaves indépendantes. Saadiens puis Filaliens se succèdent sur le trône. Cette dernière lignée s'illustre notamment par la reprise en mains effectuée par Moulay Ismaïl, contemporain de Louis XIV. En est issue la dynastie actuelle des Alaouites.
La pénétration commerciale puis politique des puissances européennes s'amplifie à partir du XVIII ème siècle, pour aboutir à la conférence d'Algésiras qui, en 1906, met le Maroc sous leur contrôle économique.
Le sentiment nationaliste, exprimé notamment par le parti de l'Istiqlal, ne cesse de se développer. Il trouve un stimulant dans l'affaiblissement de la France après juin 1940, et s'estime encouragé par les liens nés entre Rabat et Washington après le débarquement américain en 1942. A partir de 1944, le souverain Mahommet V, s'oppose de plus en plus nettement aux exigences du Résident général, représentant la France. Il est écarté en 1953, à la suite d'un complot ourdi par de grands féodaux, remplacé par un membre de sa famille et exilé. Devant la violence des réactions populaires qui ne cessent de s'amplifier, le gouvernement français fait revenir Mohammed V. Il négocie avec lui les modalités d'une indépendance qui prend effet le 2 mars 1956.
L'Espagne ne tarde pas à reconnaître l'indépendance du Maroc et se retire de la zone du nord, sans que pour autant Rabat considère comme clos le dossier des ses revendications territoriales à l'égard de Madrid. Le statut international de Tanger est aboli quelques mois plus tard. Le pays cependant, se modernise quelque peu, conservant avec la France des liens étroits. Le roi gouverne avec le parti de l'Istiqlal, qui s'affaiblit à la suite d'une scission. Hassan II succède à Mohammed V en 1961.
Faute d'entente entre le palais et les partis, le climat politique se dégrade à partir de 1963. Le roi, se trouve à peu près seul. La même année, des combats oppposent marocains et algériens sur les confins sahariens. Des difficultés économiques viennent aggraver la situation sans que l'économie marocaine parvienne à y porter remède. De graves émeutes éclatent à Casablanca en 1965.
La décolonisation du Sahara espagnol, que revendique le Maroc, provoque à partir de 1974, une mobilisation autour du souverain ; ce dernier propose alors non sans succès, une "ouverture démocratique". Si elle calme durablement le jeu politique, elle se révèle impuissante à endiguer un marasme économique qui provoque en 1981 et en 1984, des explosions sanglantes. Un redressement survenu à partir de 1988 apporte une détente sur le front social. Le conflit du Sahara finit par tourner à l'avantage du Maroc. La situation de Rabat s'améliore un peu, grâce également à la réconciliation avec l'Algérie en 1988.
Le Maroc dans le monde arabe
Le roi du Maroc déploie au Moyent-Orient une activité qui va dans le sens de la solidarité avec les pays arabes, sans laisser de côté - lorsque les circonstances s'y prêtent - celui de la modération. Il a envoyé ses soldats sur le Golan en 1973, prêté assistance au Roi d'Arabie lors des émeutes de la Mecque en 1987 et de la tension avec l'Irak en 1990, contribué à la constitution des forces de protection de tel ou tel souverain du golfe qui se pensait menacé. Il n'a pas manqué une occasion que ce soit lors de la guerre irako-iranienne ou à propos des rebondissement du conflit israélo-arabe, de prendre fermement position. Il préside le comité "el-Qods" qui traite de la situation de Jérusalem. Des moments à la ligue arabe, où il a joué un précieux rôle de médiateur, ont eu lieu à Fès et à Casablanca. Il a été choisi comme arbitre au Liban. Les liens de considération et d'amitié existant avec les monarques du proche-Orient valent à Hassan II un soutien et une compréhension dans tous les domaines, y compris celui de l'aide financière.
Cette attitude sans équivoque ne donne que plus de valeur aux gestes du Roi lorsqu'il se lance dans des initiatives spectaculaires pour contribuer à la recherche de la paix au Proche Orient, même si elles restent sans lendemain. Au sommet arabe de Fès, en 1982, il a présenté un plan de paix comportant la reconnaissance implicite d'Israël. Sur le territoire marocain, en 1986, il a rencontré le premier ministre de ce pays. Plus discrètement, son influence s'est manifestée dans la coulisse lorsque le président égyptien Sadate s'est lancé dans le périlleux processus qui l'a conduit à signer avec Israël un traité de paix.
Le Maroc entretient sans restrictions des relations d'amitié et de solidarité. Ce climat fait oublier les nuages qui naguère avaient sombré l'horizon, vers l'Est avec les tensions sur ses frontières, ou vers le Sud, la Mauritanie étant désormais convaincue que Rabat ne nourrit pas à son égard de revendication territoriale. Une union avec la Libye de 1984 à 1986, n'est plus qu'un souvenir si même elle n'a jamais existé autrement que sur papier.
La présence juive à Tanger : bref survol historique
L'origine de la présence juive à Tanger se perd dans la nuit des temps. Le site se nommait Tinguis dans l'antiquité et il fut occupé successivement par les Phéniciens et les carthaginois. Des poteries datant de cette époque lointaine et portant des décorations en forme de Menorah y ont été exhumés, semblant indiquer la présence d'une ancienne communauté juive.
Le quartier nord de Tanger est appelé Wad-el-Yahoud "le vallon des Juifs", et il existe depuis les débuts de la conquête arabe. La première référence littéraire digne de foi mentionnant l'existence d'une communauté juive dans cete ville se trouve dans le Sefer Haquabala de Rabbi Avraham Ibn Daud. Il est hélas question de l'extermination des Juifs par les almohades, de Tanger à Mahdia, en l'an 1448 environ.
Ensuite, plus aucune trace, jusqu'à l'expulsion de l'Espagne, après laquelle de nombreux réfugiés semblent s'être établis à Tanger. Les Juifs tangérois ont une curieuse coutume locale : tous les ans à la date du 2 elloul, on fait la lecture d'une "meguilat pourim" qui narre la préservation miraculeuse de la communauté, grâce à l'écrasante défaite du Roi Sebastien de Portugal en 1578 ; ce qui place le renouveau de cette communauté quelque part vers le milieu du XVI ème siècle. En 1661, quand les Portugais cédèrent la ville aux Anglais, ces derniers attirèrent des musulmans et des Juifs des localités voisines de Larache Ksar El Kabir. En 1677, les Juifs furent expulsés de la cité, et n'y retournèrent qu'en 1680. Ils devaient la quitter de nouveau en 1684, après le départ des anglais.
En 1725, un gros négociant juif, Avraham Benamor de Meknès, organisa une nouvelle communauté d'environ 150 personnes originaires de sa ville natale. Le tout premier Dayan prit la tête de Tanger en 1744. Auparavant, faute de Rav, elle avait été placée sous la tutelle spirituelle des Rabbanim de Tétouan.
Dans la deuxième moitié du XVIII ème siècle, grâce à un redressement progressif de l'économie dans la région, les Juifs tangérois dont la majorité avait vécu jusqu'alors dans la pauvreté, sauf quelques notables, virent leur situation économique s'améliorer sensiblement mais ce fut de courte durée. Dans las années 1790 - 92, ils furent en butte à une vague de persécutions, à l'instigation du sultan Moulay Yazid.
Alors qu'en 1808 il y avait moins de 800 Juifs à Tanger, leur nombre dépassait les 2000 en 1835. La communauté étant sortie miraculeusement indemne du bombardement de la ville par les français en 1844, elle instaura un nouveau "Pourim" supplémentaire que l'on nomma Purim de las bombas. C'est dans la deuxième moitié du XIX ème siècle que Tanger devint une des villes juives les plus importantes du Maroc. Alors que la première école de l'Alliance Israélite Universelle y ouvrit ses portes en 1864, c'est l'influence des Juifs espagnols de Tétouan qui devait y laisser une empreinte indélébile : la langue parlée y était surtout l'espagnol.
En 1923, Tanger fut déclarée Zone Internationale. Plus de 10 000 Juifs y vivaient alors; Cette époque fut témoin d'un net renouveau d'une culture spécifiquement juive, à l'initiative de l'Intelligentsia juive, notamment l'historien José Benoliel. En 1939 - 1940, de nombreux Juifs d'Europe de l'Est s'installèrent à Tanger. Il y avait à peu près 12 000 Juifs dans la Zone Internationale en 1948 et vers 1950, près de 2000 Juifs marocains espagnols les y rejoignirent. Après l'indépendance du Maroc en 1956, certaines notabilités déployèrent de grands efforts pour préserver la communauté qui comptait alors environ 17 000 âmes. Mais un inexorable et irréversible mouvement d'émigration avait déjà commencé, notamment vers l'Espagne (Madrid), la Suisse (Genève), le Canada ou l'Amérique du Sud et dans une moindre mesure, la terre d'Israël. Après l'annexion de Tanger, par le Maroc, on n'y recensa en 1968 que 4 000 Juifs.
Aujourd'hui, il n'y a plus à Tanger qu'une centaine de Juifs pour la plupart des personnes âgées, mais on y trouve néanmoins des synagogues.
Les Juifs dans la cité de Fès
En décidant de fonder une grande cité musulmane pour consacrer les efforts déployés par son prédécesseur et les siens propres en vue de l'instauration du premier État musulman indépendant en terre marocaine, Idris II (791 - 829) ne se doutait certainement pas du destin exceptionnel des populations juives qu'il laissa s'y installer et du rôle considérable qui fut le leur dans le façonnement de l'identité même de cette métropole de l'Islam que Fès devait devenir.
Également appelée à servir de nouvelle base de propagation de la foi parmi les tribus juives, judaïsant, chrétiennes ou païennes non encore converties, même dans ses environs immédiats, la capitale idrissite compta en effet dès sa création une minorité juive particulièrement active. Admis en qualité de dimmis ou tributaires, les Juifs bénéficiaient de la liberté de culte, de la sécurité de leurs personnes et de leurs biens. En contrepartie de cet engagement, ils étaient tenus d'observer des obligations telles que le versement d'un impôt de capitation. Des groupes de Juifs autochtones et leurs coreligionnaires émigrés de Cordoue et de Kairouan s'étaient installés dans un "quartier assez vaste qui s'élevait depuis Aghlen jusqu'à Hisn- Sadoun". La redevance annuelle, qu'ils versaient au trésor idrissite s'élevait, d'après les chroniques, à 30 000 dinars or. Ils purent s'en acquitter en s'adonnant activement à l'artisanat et au commerce. Les propos d'El Bekri témoignent de leurs succès dans ces secteurs : "Fès, dit-il, est le centre d'activité commerciale à grande distance auquel s'adonnaient ces grands négociants, principalement avec l'Orient, le Soudan et l'Europe méditerranéenne. Ce fut à Fès que Moshé Ibn Maïmoun, dit Maïmonide (qui aurait habité dans la maison de l'horloge) rédigea en arabe, vers 1159 - 1165, sa célèbre Epître sur la persécution (Igueret Hachemad). Il préconisait pour sa part, soit de "quitter ces lieux pour aller là où on pourra pratiquer (...) la Torah sans contrainte ni peur", soit faute de mieux, d'opter pour une sorte de "marranisme" en attendant l'avènement de souverains moins dogmatiques et des temps plus cléments.
Il est difficile d'évaluer l'impact de ces recommandations sur le maintien de la communauté juive , en particulier à Fès, jusqu'à l'avènement des Mérinides, où elle s'impose avec éclat. Ces conseils ayant, par ailleurs, sans doute, contribué à nourrir la suspicion tenace dont étaient entourés les Juifs convertis à l'Islam. Suspicion nourrie par des spéculations sur les motivations jugées douteuses de l'attachement des convertis à leurs noms Juifs ? Discrimination dictée par des considérations plus terre à terre telle que la compétition dans certains secteurs de l'artisanat ou autour de ce haut lieu du commerce fassi qu'était le Qissaria ? E tout cas, les musulmans fassis d'origine juive, finirent par s'imposer dans tous les domaines.
Difficile d'estimer la population sur le plan démographique, Nicolas Clénard, de passage à Fès en 1451, évaluait le nombre de sa population à 4 000 personnes et celui des musulmans à 50 000. La communauté juive, diminuée par les conversions mais grossies par l'arrivée de vagues successives de réfugiés en provenance de la péninsule ibérique, bénéficia d'un apport décisif en 1391 - 1392 lorsque arrivèrent dans la cité idrisside les Juifs fuyant les sanglantes hostilités déclenchées contre eux, notamment en Castille et en Aragon, à l'instigation du terrible archidiacre Ferrando Martinez d'Ecija; Ces premiers expulsés comptaient dans leurs rangs des familles qui allaient s'illustrer encore plus dans l'artisanat, le commerce et les sciences religieuses. L'une de leur particularité fut leur intégration avec les autochtones fassis. Un siècle plus tard, l'édit d'expulsion scellé par les rois catholiques après la chute de Grenade (1492) fit affluer à Fès des milliers de Juifs et de musulmans andalous. Dans l'intervalle, leur sort fut étroitement associé à celui de la dynastie Mérinide et certains d'entre eux connurent l'itinéraire fascinant de ces Juifs de la Cour dont l'ascension était fulgurante et la chute non moins vertigineuse. Contrairement au confinement des Juifs en Europe dans des ghettos, sanctionnés par une loi du troisième concile de Latran (1179) la coupure géographique instituée à Fès a servi de modèle et à diverses époques, être rééditée à Marrakech (1557), Meknès (1682), Rabat, Salé et Tétouan (1807 - 1811). La date d'installation des Juifs dans un quartier distinct situé à proximité du siège du gouvernement est contestée. Du jour au lendemain, rapporte une chronique juive, les Juifs furent donc accusés d'avoir profané la mosquée (Qarawiyine ?) Ils auraient rempli de vin les réservoirs de ses lampes. Il n'y avait pas d'alternative sinon les expulser de la médina. Ce fut, un amer et épouvantable exil. Bon nombre de familles de riches marchands Juifs embrassèrent l'Islam plutôt que d'abandonner leurs maisons et de s'éloigner de la cité, de leurs magasins et entrepôts. C'est le quartier qui leur était assigné, bien que relativement spacieux, offrant, de par la proximité du palais et des garnisons, des garanties supplémentaires de sécurité et, de manière générale ne semblait pas pouvoir offrir un confort comparable à celui de la Médina. Située sur un sol salin, d'où le nom de Mellah qui lui sera donné plus tard et qui deviendra synonyme de "quartier juif" dans tout le Maroc. Malgré ces inconvénients, le Mellah offrait cependant un avantage de choix : des conditions favorables au développement des intérêts communautaire ainsi qu'une plus grande cohésion des membres de la communauté vis-à-vis des habitants de la médina. La coupure n'était cependant pas totale. Quelques habitants du Mellah y gardaient encore des magasins et nombreux étaient ceux qui, le shabbat excepté, s'y rendaient pour les besoins de leur commerce. Ils y écoulaient une partie de leurs produits artisanaux, principalement des bijoux en or et les fils d'or à la fabrication des caftans. D'ailleurs rien n'illustrait sans doute mieux le maintien des liens assez étroits malgré l'exclusion qu le recours des Juifs au hurm de Moulay Idriss. Ne pouvant se réfugier dans le sanctuaire lui-même, ou dans son espace inviolable, ils trouvaient abri dans le lieu où se faisait l'immolation des taureaux et des autres bêtes offertes en sacrifice.
Vis-à-vis du pouvoir musulman, le regroupement des Juifs dans un même quartier ne signifiait pas seulement leur prise en charge directe et leur protection par les souverains méridines. Ce déplacement leur donnait la possibilité de jouir d'une certaine autonomie interne.
Géré en principe par un conseil composé de divers membres dont les notabilités religieuses, la communauté disposait d'un trésorier et de dayyanim choisis souvent à vie parmi les familles les plus en vue et chargées de siéger au Beth-Din (tribunal) pour rendre la justice. Les Sofrim remplissaient pour leur part des fonctions équivalentes à celles des 'adul musulmans (notaires) et enregistraient donc toutes sortes d'actes, tels que les contrats de mariage, les contrats commerciaux... Outre les services religieux assurés par les hazzanim dans les synagogues privées ou publiques suivant leurs rites respectifs, le respect des prescriptions de la Loi passaient par le recours du circonciseur , l'équivalent du Hajjam en médina, et du sacrificateur rituel qui avait la charge de procéder à l'abattage rituel et de décréter Kasher ou impropres à la consommation les viandes qu'il examinait.
Pour faire face aux calamintés, la communauté puisait ses dernières ressources dans la "caisse des pauvres", alimentée habituellement comme toutes les oeuvres de bienfaisance, par les dons des fidèles, diverses taxes et les revenus tirés des biens heqdesh comparables aux hubus ou waqf musulmans. Dans de telles circonstances, une autre "institution" du mellah avait fort à faire : la Hevra quadicha ou congrégation chargée de l'enterrement des morts mais s'activant aussi utilement par exemple, pour lutter contre les incendies.
En période de calme politique et en dehors des phases d'aléas écologiques, la vie s'écoulait au sein du mellah dans l'accomplissement des prières quotidiennes, la célébration du Chabat annoncé à coups stridents du schofar, la médina ayant un système similaire pour le réveil du Shour durant le Ramadan et la commémoration des grandes dates de l'histoire juive.
Centrées sur l'artisanat et le commerce, la vie économique dépendait dans une large mesure des rapports et des échanges entretenus avec la médina. Regroupés en corporation (comparables aux hanta musulmanes), les artisans Juifs étaient actifs dans quasiment tous les secteurs de production. Ils exerçaient un monopole pratiquement sans partage sur le travail de l'or. Léon l'Africain décrit : "La plupart des orfèvres sont des Juifs qui exécutent leurs travaux au nouveau Fès et les portent dans la vieille ville pour les vendre. Là un marché leur a été assigné près des droguistes. On ne peut travailler en effet, ni l'or, ni l'argent dans la vieille ville... car on dit que vendre les objets d'argent et d'or pour un prix supérieur à ce que vaut leur poids est de l'usure. Mais les souverains donnent l'autorisation aux Juifs de le faire."
En dehors de l'orfèvrerie, de la frappe de monnaies, du travail de cuirs et de laines et de la fabrication d'armes, les Juifs intervenaient par le biais "d'association" dans l'agriculture (oliviers, figuiers, vignobles) et jouaient un rôle important dans le ramassage de ce produit stratégique.
La stabilisation intervint progressivement avec l'afflux à partir de 1470, et surtout 1492, de nouvelles vagues de réfugiés et d'expulsés. Le quartier juif se renforça alors des divers apports de ces nouveaux venus qui le marquèrent d'une empreinte indélébile. Attachés au mode de vie raffiné qui avait été le leur dans la péninsule ibérique, ils se transmirent de génération en génération le legs andalous. Plusieurs siècles plus tard, un célèbre voyageur français, Pierre Loti, reçu avec faste au mellah par des israélites fortunés "au milieu des parfums de bois de santal" et d'amas de "cornes de gazelle", s'extasiera en termes lyriques sur le charme des maisons décorées et aménagées dans le goût arabe le plus recherché et n'hésitera pas à comparer l'un de ses hôtes à "quelque élégant vizir".