Conférence de Wannsee : la Solution finale
Shoah. Hitler est déterminé à se débarrasser des Juifs en Europe et il n'a aucun scrupule pour que les méthodes les plus radicales soient mises en place par la hiérarchie SS.
Si les mesures antisémites sont une spécialité du Reich, le gouvernement de Vichy a conduit une politique restrictive des libertés sociétales envers les Israélites. Les persécutions qui sont déjà engagées à l'Est sont soutenues par une politique de ghettos destinée à séparer les Juifs des autres familles de la population. L'obsession nazie de l'antisémitisme est telle que le gouvernement décide de rationaliser et de radicaliser sa politique. Les mesures discriminatoires sont désormais jugées insuffisantes. Il faut passer à une étape supérieure qui relève de la programmation d'une politique d'extermination. C'est la finalité de la conférence qui se déroule le 20 janvier 1942 dans l'hôtel de police de la Sécurité du Reich à Wannsee. Sont réunis autour du SS-Obergruppenführer Reinhard Heydrich, chef de la Police de sûreté et du Service de sécurité, des bureaucrates, des techniciens, des idéologues, des militaires profondément convaincus qu'il faut : « éradiquer le mal européen » incarné par les Juifs. Les mesures administratives destinées à restreindre les droits des Israélites sont jugées insuffisantes et trop douces à l'égard de familles représentatives du mal.
Industrialiser la mort
Passer à la vitesse supérieure revient à mettre en place une politique industrielle d'élimination des Juifs. Depuis le 31 juillet 1941, Heydrich a obtenu le feu vert du maréchal Göring pour ne pas se limiter à épurer les Juifs du Reich mais à réfléchir sur toutes les composantes d'un arsenal prompt à régler définitivement la question juive en Europe. Avant Wannsee, des exécutions massives ont lieu dans les territoires occupés et on estime alors que 230.000 de ces malheureux ont été tués dans les Pays baltes ainsi qu'en Ruthénie. L'action des groupes SS chargés des basses œuvres est jugée médiocre et des dignitaires du Reich soulignent l'insuffisance mathématique des résultats. Devant ses interlocuteurs, Reinhard Heydrich affirme : « Le temps des massacres sauvages est terminé. J'exige de la méthode, une envie de perfection, la mise en place d'une extermination scientifique qui interdira à tout Juif de passer à travers les mailles du filet de la purification. Cette solution doit être la fierté d'une Allemagne garante de la pureté originelle ».
Froid, méthodique, l'officier qui a mûrement réfléchi son plan déroule devant son auditoire une machine de mort. Il cible onze millions de Juifs européens en situation : « d'urgence de traitement ». Il présente une fiche détaillée et énumère son infâme comptabilité : cinq millions pour l'Union soviétique, 2.248.000 pour le gouvernement général de Pologne, 865 000 pour la France. Il ose même ajouter le chiffre de 330.000 pour le Royaume-Uni. Heydrich explique que les déportations vers l'Est vont provoquer une sélection naturelle par le travail. Ceux qui ne sont pas très costauds disparaîtront rapidement. Avant de préciser avec un cynisme inouï : « Le résidu qui subsistera sera traité avec les méthodes adéquates pour qu'on n'en entende plus parler ». En d'autres termes, il s'agit d'un assassinat prémédité. Heydrich considère qu'il faut : « balayer l'Europe d'ouest en est » et évacuer en priorité tous les Juifs de moins de 65 ans qui constituent le contingent le plus menaçant. Pour ceux qui sont plus âgés, le chef de la police imagine un mouroir, ghetto pour vieillards et pense l'établir à Theresienstadt. Il propose des conversations approfondies avec les militaires pour assurer les transferts sans que cela ne porte préjudice aux offensives menées à l'est contre l'Armée rouge.
En ce qui concerne le recensement des populations « parasites », Heydrich considère que les difficultés les plus importantes seront rencontrées en Roumanie et en Hongrie. En revanche, il n'imagine pas de problèmes en France parce qu'il considère que le gouvernement de Vichy est soumis et que son administration lui obéit sans se poser de questions.
Le führer applaudit
Adolf Hitler est en phase avec les décisions adoptées à Wannsee. Tout au moins c'est ce que note Joseph Goebbels dans son journal : « Concernant la question juive, le Führer a déblayé le terrain. La guerre mondiale est en cours, l'anéantissement de la juiverie doit en être la conséquence nécessaire. Cette question doit être envisagée sans aucune sentimentalité. Nous ne sommes pas là pour avoir pitié des Juifs mais pour avoir pitié de notre Peuple. Maintenant que le peuple allemand a perdu 160 000 hommes de plus sur le front de l'Est, les Juifs de ce conflit sanglant vont devoir le payer de leur vie ». Le SS-Obsersturmführer Adolf Eichmann note dans le protocole de la Conférence qui n'est diffusé qu'à trente exemplaires : « Le chef de l'Office central pour la Sécurité du Reich au sein de la SS fit part en ouverture de la mission qui lui était confiée par le Reichmarshall du Grand Reich en vue de la préparation de la Solution finale de la question juive en Europe et indiqua que l'objectif de cette conférence était de clarifier les questions de fond ».
Wannsee suscite une émulation chez les serviteurs zélés du Reich. C'est ainsi que Bühler qui représente le Gouvernement général de Pologne explique qu'il faut débuter par son pays. Il se justifie. Il n'y a pas de problèmes de transport et sur les deux millions et demi de Juifs présents : « La majorité est inapte au travail ». Ce qui revient à dire qu'elle est prête pour une extermination immédiate et peut servir de cobayes à des processus d'élimination de masse. Eichmann en secrétaire besogneux et avec un vocabulaire administratif qui fait froid dans le dos écrit encore : « Il ressortit qu'on était d'avis qu'il fallait mener immédiatement dans les territoires en question les travaux préparatoires au déroulement de la Solution finale en évitant cependant de provoquer l'inquiétude dans la population ». Visiblement satisfaits tous les membres de la conférence se congratulent et se retrouvent autour de bons cigares et de verres d'eau-de-vie. Heydrich est bien l'homme clé de cette politique folle dont les SS veulent avoir toutes les clés. La guerre doit être gagnée et dans le même temps les Juifs doivent être éradiqués des pays où flotte le drapeau nazi.
Le 25 janvier, une importante réunion a lieu à Berlin. Hitler déclare alors à Henrich Himmler le patron de la SS et à Lammers qui est le chef des services de la Chancellerie du Reich : « Je suis colossalement humain. Au temps de la domination papale à Rome, les Juifs étaient maltraités. Tous les ans jusqu'en 1830, huit juifs étaient traînés en parade à travers la ville par des ânes. Tout ce que je dis c'est qu'ils doivent partir. Si l'opération entraîne leur mort, je ne peux rien y faire. Je n'envisage l'extermination totale que s'ils refusent de partir de leur plein gré ». Hitler toise ses interlocuteurs puis est pris d'une suée et éructe brusquement de colère : « Pourquoi devrais-je considérer le Juif comme différent d'un prisonnier soviétique ? Pourquoi les Juifs ont-ils déclenché la guerre ? ».
Heydrich subjugue si bien ses interlocuteurs qu'à Paris dans la seconde quinzaine de janvier, l'ambassadeur Otto Abetz promet dans les salons où l'on cause que le SS-Obergruppenführer viendra bientôt dans la capitale expliquer comme va se construire la Nouvelle Europe : « libérée de la juiverie ».