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Souvenirs

Lors de mon enfance, j’attendais avec une envie intense et un désir impatient, la venue de certains jours spécifiques de l’année : la Soirée du Seder*, Rosh Hashana*, le Repas d’Interruption*, mon anniversaire et le « Jour du Couscous ».

Les portes de Mogador sont conçues pour conserver des secrets qu’elles ne dévoilent que si on les honore de ses recherches. On passe devant elles sans entendre qu’elles susurrent : « Vous êtes de passage sur terre, nous conserverons le souvenir de votre passage. »

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement français de Vichy avait donné l’ordre d’arrêter les populations juives dans toutes les villes marocaines et de les transférer dans des camps de concentration nazis en Europe. La sélection des mâles juifs avait débuté dans les écoles et s’était étendue aux adultes.

Comme à l’accoutumée, à mon retour de l’école, mes camarades et moi, traversions la grande avenue qui divisait le cimetière du quartier juif – le Mellah, avant que chacune d’entre nous ne prenne la direction de sa demeure.

Une chanson de l'Album La poésie à fleur de mots

Mon père, le très honorable Fils-de-Serpent, priait dans une synagogue relativement mineure qui veillait à terminer son service du vendredi soir – veille du shabbat qui passe pour soir d'accouplement du Saint, béni soit-Il, avec sa Présence – avant les autres synagogues pour permettre à ses fidèles de se rendre dans les hauts lieux liturgiques de la ville. 

A Marrakech, l'espace des terrasses était réservé aux femmes. Elles s'y retrouvaient entre elles. Complices et si peu rivales, comme au Hammam, réunies autour de divers dominateurs communs,

Cheveux en bataille, la jeunesse danse au rythme des juke-boxes

Ma mère avait une manière singulière  de nous éduquer. Elle nous frappait  tous systématiquement  sans exception à la babouche que nous soyons fautifs ou pas!

Parti en France à l’âge de 15 ans en 1967, Simon Haim Skira est actuellement le secrétaire général de la Fédération française du judaïsme marocain. En parlant de Casablanca, il éprouve beaucoup de nostalgie pour cette ville dont il garde les meilleurs souvenirs.

C’était du temps où l’on trouvait encore des objets intéressants au souk des Vieilleries. Toutes sortes de vestiges des présences juive et chrétienne dans la ville. Un mobilier d’exil déglingué qui conservait dans ses tiroirs des boules de naphtaline ; un mobilier des colonies grandiloquent qui conservait son air de villégiature. Des bougeoirs pour instaurer les solennités ; des encensoirs pour embaumer les âmes.

La rue Lusitania bourdonnait d'activité comme d'habitude. Après les devoirs faits à la hâte, on retrouvait les copains pour refaire le monde, pour parler sans avoir rien a dire, pour rire pour n’importe quoi pourvu que le rire soit au bout du chemin.

Tétouan (anciennement Tamuda), détruite par les Espagnols en 1399, est reconstruite à la fin du 15è siècle grâce à l'arrivée de juifs et de musulmans fuyant l'Inquisition. La communauté juive de la ville a donc la particularité d'être entièrement séfarade et hispanophone - comme en témoignent la majorité des grandes familles de Tétouan: Abudaraham, Almosnino, Bendelac, Bibas, Cazès, Coriat, Crudo, Falcon, Hadida, Nahon, Taurel...

Tous les souvenirs d'enfant se ressemblent et pourtant chacun est personnel. J'ai beau vous entendre raconter vos aventures et m'apercevoir qu'effectivement elles ont un air de famille, les nôtre étaient uniques au monde, comme la rose du Petit Prince, parce qu'il s'agissait de nous. La réalité se transforme peu à peu en souvenirs et chaque jour qui passe les rend plus vivaces et plus purs.

Jusqu’en 1950, et en dépit de notre grande maison et de son luxe, nous n’avions pas de salle de bain pour la simple cause que très peu d’entre les habitants du Mellah avaient pris connaissance de cet élément indispensable. Tous employaient de grandes bassines en aluminium qu’ils remplissaient d’eau chaude et plongeaient dedans.

Et quelles sont-elles? Par ordre de leur apprentissage au cours des années:Le Français, l’Arabe, (ال عربي) l’Espagnol( español),  l’Hébreu,( עברית) l’Anglais (English)  et l’Italien ( italiano).

Une vidéo rare des Archives de l'United Jewish Appeal montre cette harmonie et fraternité que les anciens marocains nos parents partageient dans une cohabitation et respect mutuel qui a malheureusement disparu.

Etymologiquement, le mot « melh » signifie en arabe « sel » tandis que « mellah » désigne le lieu où l’on conserve les produits avec le sel des « saloirs ». D’une façon générale au Maroc, le Mellah signifie surtout le quartier réservé aux habitants de confession juive.

Tout Casablancais vous le dira : «à voir l'état  du Bd Mohammed V, j'ai l'impression qu'une partie de mon enfance m'a été dérobée». Bien sûr, nous parlons de ceux qui ont connu cette artère du temps de sa superbe, à l'époque où cette voie était digne de porter un nom aussi chargé de sens et d'histoire.

Parmi les histoires presque oubliées de la période de la Shoa il y a celle d’Hélène Cazes-Benattar qui durant la Seconde Guerre mondiale devint à elle-seule une véritable institution de sauvetage de ses frères juifs européens réfugiés au Maroc. Née Cazes en 1900 à Tanger, elle « émigra » à Casablanca et épousa Moshé Benattar.

Cinq heures, la cloche a sonné, l’école vient de finir. -Caliente ! Caliente ! Le marchand de jaban, celui des beignets, la charrette du marchand de cacahuètes ; tout le monde est au rendez-vous.

Charly était l’homme de toutes les heures. Petit de taille, les oreilles en ailes papillon, il avait le sourire facile et franc. Durant nos voyages scouts dans l’Atlas ou en Europe, ce Marrakchi relevait tous les défis avec brio et réglait en un rien de temps tous les imprévisibles.

Une porte, au bout de cette rue, raconte une histoire de trahison et de vocation, de séduction et de résistance, de grandeur et de bassesse. Nous sommes au milieu du XIXe siècle, les grands négociants juifs étendent leur commerce extérieur avec l'Angleterre. 

Une génération qui envoyait des lettres...
Qui dansait les slow.
Une génération qui est allée à l'école et est revenue à pied.
Une génération qui a fait ses devoirs seule pour sortir le plus vite possible jouer dans la rue.

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